Plan de relance européen : le compte n’y est pas

Pour le député européen EELV, Damien Carême, la proposition de plan de relance de la Commission européenne est un chèque en blanc qui ne suffit pas. Selon, lui, cet argent aurait pourtant pu être un formidable levier pour mettre l’Europe sur les rails de la neutralité carbone.

Damien Carême  • 3 juin 2020
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Plan de relance européen : le compte n’y est pas
© Photo : La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté son plan de relance devant le Parlement européen, le 27 mai (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Historique ? Le plan de relance de 750 milliards d’euros présenté le 27 mai par la Commission européenne a été louée par la plupart des commentateurs et forces politiques pro-européennes. S’il fut déroutant, le phénomène a surtout rendu toute critique quasi-interdite… Et pourtant. Non, le compte n’y est pas. Pour être historique, le plan de relance européen doit en effet remplir trois conditions fondamentales, or celui présenté par la Commission n’en coche qu’une.

La première condition, c’est la solidarité. De ce point de vue, le plan de la Commission est remarquable : il acte le début d’une véritable solidarité budgétaire au niveau européen. En proposant que l’Union lève une dette commune aux 27 États membres et puisse la redistribuer sous forme de subventions aux pays en ayant le plus besoin – plutôt que sous forme de prêts –, la Commission européenne propose un bond en avant en matière d’intégration européenne. Il faut s’en réjouir : la mutualisation des aides permettra à l’Europe de faire face de manière plus forte et plus unie.

La deuxième condition, c’est la crédibilité. Là, le bât blesse. La Commission européenne suggère en effet une relance à 750 milliards d’euros : ce n’est malheureusement pas crédible. Ce montant est largement insuffisant. Sa prétendue importance n’est en réalité que toute relative : les 750 milliards d’euros font bonne figure à côté des 500 milliards esquissés par la France et l’Allemagne quelques jours plus tôt ; et plus encore comparés aux 250 milliards de prêts arrachés du bout des lèvres des gouvernements plus frugaux de la Suède, du Danemark, de l’Autriche et des Pays-Bas. 

La réalité ? Ce n’est pas à ces valeurs ridicules qu’il convient de comparer le volume du plan de la Commission, c’est aux montants nécessaires pour affronter le choc économique et investir dans la transition écologique en phase avec l’Accord de Paris. Il faut au moins cinq fois plus ! Avec les Verts au Parlement européen, nous avons mis en place un plan de 5.000 milliards d’euros autour d’un projet pour une société plus résiliente, plus juste, plus durable. De quoi être crédible à la fois sur nos réponses aux difficultés économiques et sociales qui étouffent tant de nos concitoyen-ne-s, et sur le respect de nos engagements pris pour le climat.

Enfin, la troisième condition, et pas des moindres, c’est le changement de braquet. Le vrai. Cette condition-là est très loin d’être validée ! Comment qualifier ce plan d’historique alors qu’il ne retient aucune leçon du passé ? La Commission européenne aurait pu tirer les conséquences de cette crise pour proposer un autre après. Un chèque en blanc ne suffit pas, il faut l’inscrire dans un changement d’ensemble, comme les Verts le demandent depuis longtemps déjà : refonte de la Politique Agricole Commune (la PAC) pour une agriculture saine et génératrice d’emplois, fin des accords commerciaux climaticides, engagement massif pour la transition énergétique et industrielle, réorientation de la politique économique et monétaire. Il n’en est rien, malheureusement.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, semble fermer les yeux sur l’opportunité historique donnée par cette crise : celle de changer de voie, de logiciel. Le « Green New Deal » de la Commission ne semble être – comme en France – que prétexte à de beaux discours. Les actes ne sont pas à la hauteur. En refusant de conditionner les aides d’État à des critères stricts en matière de transition verte et de justice sociale, elle laisse des centaines de milliards d’euros renflouer les caisses d’industries fossiles et de secteurs polluants. C’est inacceptable. C’est un jeu de dupes insupportable : cet argent aurait pourtant pu être un levier formidable – bien qu’insuffisant – pour mettre l’Europe sur les rails de la neutralité carbone.

Rompre avec le monde d’avant, c’est s’affranchir des dogmes. C’est écouter les climatologues, les cancérologues, les paysans, les soignants, les travailleurs, la jeunesse, plutôt que ceux qui ne parlent qu’austérité et croissance. C’est changer les règles de notre Union économique et monétaire qui nous poussent droit dans le mur**. C’est redonner du sens. C’est annuler une partie des dettes publiques détenues par les banques centrales** pour pouvoir investir dans notre avenir commun. Sans cela, tout plan de « relance » ne sera que relance du pire, promesse du retour de l’austérité. Et de dettes supplémentaires. Et de dettes financières. Et de dettes climatiques, laissées à nos enfants.

Non. Ce plan ne fait pas l’Histoire. Pour l’intégration européenne, c’est une avancée majeure, oui, mais pour la vie, pour l’après, pour le climat, le compte n’y est pas.

Il faut plus. Il faut mieux.

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