Reprendre possession de nos conditions de vie

La crise du Covid-19 a montré que les États ont le pouvoir de remettre l’économie à sa place, de la subordonner aux besoins humains.

Txetx Etcheverry  • 3 juin 2020
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Reprendre possession de nos conditions de vie
© Trafic routier en été sur le passage du Gois, qui relie le continent à l’île de Noirmoutier, en Vendée.Photo : Philippe Roy/Aurimages/AFP

Cette crise sanitaire et l’incapacité du néolibéralisme et de nos dirigeants actuels à la prévenir, à la contenir et à la gérer rationnellement rendent plus actuels et pertinents que jamais des concepts clés de l’écosocialisme et du camp de la justice sociale et de l’urgence climatique : anticiper, planifier et organiser collectivement. Cette crise démontre également que l’intérêt individuel ou la recherche de profits personnels sont loin d’être les seules motivations possibles dans nos sociétés. La solidarité et l’entraide entre voisin·es et habitant·es d’une même localité, le sens civique des populations, le dévouement de personnes pourtant mal payées comme les soignant·es, le sens de l’intérêt collectif qu’ont manifesté tant d’élu·es, de personnels administratifs ou de bénévoles associatif·ves sont autant de valeurs dont cette crise a souligné l’importance et l’enjeu pour nos sociétés.

Depuis quarante ans maintenant, la sphère néolibérale, d’un côté, et la « gauche » résignée, les croyant·es du grand soir insurrectionnel ou les tenant·es du seul changement individuel, de l’autre, nous auront bombardés de poncifs sur l’impuissance de l’État ou du politique. Or il a suffi d’un petit virus pour démontrer au plus grand nombre que « quand on veut, on peut ». La puissance publique peut, si elle le décide, fermer un grand nombre d’entreprises et d’activités jugées non indispensables, elle peut interrompre la circulation aérienne, réquisitionner des entreprises, subventionner massivement tel ou tel secteur, accompagner d’urgence telle reconversion, limiter drastiquement la circulation automobile ou interdire tel comportement ou activité jugé nuisible à l’intérêt collectif ou à la santé publique.

Les États, la démocratie et ses institutions ont donc bien le pouvoir de remettre l’économie à sa place, de la réencastrer dans un certain nombre de contraintes et de matrices dictées par la société, la volonté collective, l’intérêt public et le bien commun. On peut subordonner l’économie aux besoins humains, et non l’inverse, comme l’a décrit Karl Polanyi dans La Grande Transformation. On comprend qu’il serait tout à fait envisageable, s’il y en avait la volonté publique, de mettre en route dès maintenant la métamorphose sociale et écologique qui pourrait éviter le pire à l’humanité.

Contrairement à la vision millénariste de certain·es collapsologues, il n’y a pas de « grand soir de l’effondrement ». Malgré une économie mondiale à l’arrêt, des échanges internationaux brutalement interrompus, plus de la moitié de la population mondiale confinée, le système ne s’est pas écroulé. Encore moins en quelques jours, comme voulaient le croire certain·es. La capacité de résilience du système n’est pas négligeable et peut permettre au capitalisme de s’adapter et de se réorganiser d’une manière qui risque d’être payée au prix fort par les plus vulnérables. Arrêter de lutter pour sa transformation ou son remplacement en prétextant qu’il va s’effondrer de lui-même et qu’il vaut mieux se préparer à l’après risque fort de causer beaucoup de désillusions, au moins dans les quelques décennies à venir.

En revanche, il est de plus en plus évident que nous allons connaître une répétition de crises majeures aux origines diverses, qui seront autant de moments de remise en cause du système, de prise de conscience des populations. Si nous nous y préparons dès aujourd’hui, si nous nous organisons de mieux en mieux et de plus en plus massivement, nous pouvons les transformer en opportunités de changement, d’une bifurcation qui évite justement l’effondrement à terme non pas du système mais de nos sociétés.

Nous devons retrouver nos souverainetés réelles, alimentaire, médicale, énergétique, économique, culturelle, populaire au plus près des territoires dans lesquels nous vivons, pour y cultiver solidarité et diversité, sources de résilience.

Nous devons rompre avec le hors-sol de la modernité capitaliste et reprendre possession de nos conditions de vie, en protégeant la planète dans le moindre de ses recoins. Et nous devons dire non à la mise en concurrence des peuples entre eux, pour construire une « communauté de destin de tous les humains en lien inséparable avec le destin bio-écologique de la planète Terre », ainsi que l’a formulé Edgar Morin.

Cette crise du coronavirus nous indique la voie à suivre, dans la droite ligne du projet Euskal Herri Burujabe (1). L’alternative est là, à notre portée, et elle a déjà commencé à se construire, ici et maintenant. Il s’agit de mettre en route, partout dans le monde, mille projets de territoires souverains, soutenables et solidaires pour stopper cette mondialisation capitaliste et néolibérale qui menace nos sociétés et nos vies. Nous y prendrons notre part.

(1) « Un Pays basque souverain, soutenable et solidaire ». 

Projet « Burujabe : Reprendre possession de nos vies » disponible sur https://bizimugi.eu

Txetx Etcheverry Cofondateur d’Alternatiba, militant de Bizi ! et d’Action non-violente COP 21.

Publié dans
Le temps du climat
Temps de lecture : 4 minutes
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