Toulouse : Archipel citoyen, l’espoir d’une politique autrement

En position de rafler la mairie à l’alliance LR-LREM, la liste soutenue par une large coalition de partis défend un mode de gestion plus horizontal.

Victor Le Boisselier  • 17 juin 2020
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Toulouse : Archipel citoyen, l’espoir d’une politique autrement
© Antoine Maurice (à gauche), tête de liste, est issu des Verts.Photo : Alain Pitton/AFP

Il se passe quelque chose à Toulouse, quatrième ville de France avec ses quelque 475 000 âmes. L’équipe d’Archipel citoyen l’a même inscrit sur ses tracts. « Le 28 juin sera historique », veut-elle croire. La liste, qui mêle non-encarté·es et professionnel·les de la politique, est soutenue par seize forces de gauche. LFI et EELV en tête, mais aussi Place publique ou encore le Parti pirate. Surtout, c’est un mouvement capable de rafler le Capitole, tenu depuis 2014 par Jean-Luc Moudenc (LR). Dans un premier tour marqué par une faible participation (36,6 %), la large coalition est arrivée en deuxième position avec 27,5 % des suffrages, à 9 points du maire sortant, soutenu par LREM. Dernier événement ayant confirmé la dynamique, le ralliement de la liste UNE (PS, PRG, PCF), troisième avec 18,5 % des voix, même si la tête de liste, la socialiste Nadia Pellefigue, a décidé de ne pas suivre.

Depuis cette fusion, deux sondages placent Archipel citoyen en tête à l’issue du second tour. Leur fiabilité est contestable, étant donné le faible panel sollicité. Mais ils confirment une certaine dynamique. Ou « l’alignement des planètes », comme le décrit le professeur de science politique à l’IEP de Toulouse Éric Darras : « Antoine Maurice, la tête de liste, bénéficie de la dynamique nationale de l’écologie, des mouvements sociaux et de la crise du Covid. Ce qui a pesé pour Jean-Luc Moudenc peut se retourner contre lui. Le soutien d’Emmanuel Macron après les mouvements sociaux et la crise sanitaire. Ou le discours sécuritaire, en cette période de dénonciation des violences policières. La contrainte du droit électoral, encourageant les fusions au second tour, est également favorable à Archipel citoyen, car il permet l’union des gauches et la mobilisation des puissants réseaux locaux du PS. »

Le maire sortant a bien pris la mesure de la menace qui pesait sur son siège. Ironique au début de la campagne, il brandit aujourd’hui le péril tantôt rouge, tantôt jaune en expliquant à La Dépêche du Midi que « les gilets jaunes sont aux portes du Capitole ». « Une campagne de caniveau », dénonce Antoine Maurice. Aux projets d’une troisième ligne de métro ou d’un nouveau parc des expositions vantés par son adversaire, son mouvement répond par un programme aux accents écologiques, sociaux et démocratiques : zéro mètre carré d’artificialisation, université citoyenne et référendum d’initiative citoyenne (RIC), expérimentation -« Territoire zéro chômeur de longue durée » pour des quartiers prioritaires… Sur le volet économique, autour duquel il peine à convaincre, il promet de « diversifier l’économie locale », trop dépendante d’Airbus. Avec comme principal levier la commande publique, notamment dans le bâtiment et l’énergie.

Mais Archipel citoyen incarne surtout un espoir. Celui de « faire de la politique autrement », de façon plus horizontale, sans les vices partisans. C’est dans cette optique que s’est créée l’association du même nom, en 2017. Les fondateurs ne viennent pas de la sphère politique et s’appuient sur les thèses du municipalisme libertaire de l’Américain Murray Bookchin, ou les expériences de Barcelone ou de Saillans. Le nom de l’association traduit son mode de fonctionnement : un chapelet de cercles de discussions et de débats, regroupés par thématiques ou par quartiers, auxquels participent les 550 adhérent·es.

Pour conserver cette fibre tout en assumant ses ambitions électorales, Archipel marche sur une ligne de crête entre le système et de nouvelles pratiques politiques. L’association s’est d’abord transformée en une liste, soutenue par des partis. « Notre projet ne pouvait pas se faire autrement », assure Caroline Honvault, l’une des cofondatrices, numéro deux sur la liste. Pour se protéger des biais du système partisan, un processus tout aussi démocratique que kafkaïen est mis en place pour choisir les candidat·es.

Dans le nombre, des professionnel·les de la politique, à l’instar d’Antoine Maurice, finalement désigné tête de liste. Adhérent des Verts à 18 ans, proche d’Éric Piolle, il termine son deuxième mandat en tant que conseiller municipal et métropolitain. « J’étais lassé du théâtre du conseil municipal, hors sol. Je voulais mettre mon expérience au profit d’un projet de société. Ce n’est pas facile d’être maire d’une grande ville », justifie-t-il. Si la tête de liste est issue du sérail politique, 47 % de ses colistier·es en position éligible sont non encarté·es, même si certain·es ont connu des aventures politiques. Parmi ces « membres de la société civile », François Piquemal, ancien porte-parole du DAL de Haute-Garonne, ou encore Odile Maurin, figure locale des gilets jaunes et militante pour les droits des personnes handicapées. Mais aussi des citoyen·nes tiré·es au sort, dont quatre en position éligible. Malgré de longs débats pour choisir l’ordre de la liste, « les partis politiques ont joué le jeu », estime Antoine Maurice. « EELV n’aura que six élus en cas de victoire », illustre-t-il. Ce chiffre passe à quatre pour LFI, trois pour le PCF et sept pour le PS.

La place prise par les socialistes a pu décevoir une partie de l’aile gauche du mouvement ou les militant·es défiant·es envers les partis. Certain·es regrettent que les négociations aient été menées seulement par des professionnel·les de la politique. Des compromis que d’autres sont prêt·es à faire, comme Laurence, militante depuis près d’un an : « Je comprends la déception concernant l’arrivée des partis, mais j’y consens, car c’est inévitable. On n’aura jamais la forme parfaite, mais j’espère qu’Archipel sera un levier pour montrer qu’on peut faire de la politique autrement. Ce qui a été fait est totalement inédit. »

Pour Éric Darras, c’est le système politique actuel et les ressources financières ou politiques nécessaires à une élection qui rendent difficilement contournables les appareils. Il préfère voir le vent de changement insufflé par Archipel : « Pour nous, sociologues, c’est un phénomène intéressant et nouveau : ce sont des jeunes ! S’ils sont élus, c’est un vrai renouvellement du personnel politique local qui s’annonce. » Si la liste reste tout de même très marquée par la prégnance des classes moyennes supérieures, avec peu de « représentants des quartiers populaires et des minorités dites visibles », le professeur de science politique résume sa pensée : « Les médecins et professeurs d’université ont été remplacés par les infirmier·es et les enseignant·es. Il y a un recul de la bourgeoisie toulousaine, à gauche comme à droite. » Caroline Honvault complète : « Il est difficile de se battre contre certains biais sociologiques, mais nous recueillons la parole des quartiers populaires, ce qui est tout aussi important. »

Si le résultat de ce scrutin est incertain, cette élection est fortement polarisée, marquée par deux projets de société très marqués. S’ajoute, pour Laurence, une autre certitude : « Avec ce qu’a fait Archipel citoyen, il ne sera plus possible de faire de la politique comme avant. »

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