#Déboulonnable, Jules Ferry ? : « Civiliser les races inférieures »
Politis questionne des « grandes » figures de l’histoire liées à la colonisation. Aujourd’hui le créateur de l’école gratuite, laïque et obligatoire, qui fut également un grand défenseur de la « supériorité raciale » des Français.
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© Manuel Cohen/AFP
Plusieurs fois ministre de l’Instruction publique ou président du Conseil entre 1879 et 1885, Jules Ferry (1832-1893) a fait voter une série de lois créant l’école de la République autour d’un triptyque novateur : gratuité, obligation, laïcité. Incontestablement, Jules Ferry est le père de l’école républicaine. Mais il est aussi un défenseur de la supériorité raciale et civilisationnelle des Français. « La France […] doit […] porter partout où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes, son génie. […] Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. […] Il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » Ne faisait-il qu’exprimer une opinion banale de l’époque ? Le contre-discours que lui oppose Georges Clemenceau anéantit cette croyance : « Regardez l’histoire de la conquête de ces peuples que vous dites barbares et vous y verrez la violence, tous les crimes déchaînés, l’oppression, le sang coulant à flots, le faible opprimé, tyrannisé par le vainqueur ! […] Combien de crimes atroces, effroyables, ont été commis au nom de la justice et de la civilisation ? Je ne comprends pas que nous n’ayons pas été unanimes ici à nous lever d’un seul bond pour protester violemment contre vos paroles », avait-il clamé.
Deux statues identiques avaient aussi été érigées dans les colonies. L’une à Haïphong, premier port d’Indochine, détruite après l’indépendance en 1956 ; l’autre à Tunis, déboulonnée aussi. Les populations colonisées n’ont retenu qu’un visage de Ferry, qui n’est pas celui du grand instituteur. À Paris, sa statue, qui surplombe les jardins des Tuileries, a été érigée par la Ligue française de l’enseignement entre 1906 et 1910. Elle ne fait pas directement mention de son « œuvre » coloniale. Mais derrière lui, en contrebas, devant le « Génie de la République », représenté par un jeune homme brandissant le drapeau français et le rameau de la paix, une table sur laquelle est inscrit : Tunisie, Tonkin, Madagascar…
C’est devant cette statue que François Hollande s’est recueilli après son élection à la présidence en 2012, pour symboliser l’engagement de son quinquennat envers la jeunesse… Un grand aveu de l’ambivalence de la gauche vis-à-vis de quelques-uns de ses personnages fondateurs. Avant de saluer l’œuvre de l’ancien ministre de l’Instruction, Hollande signifia ne rien ignorer des « égarements politiques » de Ferry, qualifiant sa « défense de la colonisation » de simple « faute morale et politique ». Quand bien même celle-ci, fondée sur une idéologie profondément raciste, était au cœur de sa définition de la République.
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