Le désordre climatique met en cause l’avenir de la Sibérie

Les 200 incendies en cours en Yakoutie, dont la capitale s’effondre irrésistiblement, menacent le monde entier. Chaleurs et feux prévus pour tout l’été

Claude-Marie Vadrot  • 18 juillet 2020
Partager :
Le désordre climatique met en cause l’avenir de la Sibérie
© Photo d'illustration : Feu de toundra dans la région de Mourmansk à l'été 2018 (Pavel Lvov / Sputnik / Sputnik via AFP)

Iakoutsk, la capitale de la Yakoutie, désormais connue sous le nom de République de Sakha, la plus vaste de la Russie, est périodiquement envahie depuis bientôt deux semaines par des fumées qui pénètrent dans les maisons, les bureaux et tous les locaux des administrations. Ses 320.000 habitants ne savent plus où se réfugier. D’autant plus qu’en été il n’existe pas de route menant à Moscou, située à 1.700 kilomètres, et que toute la région est ravagée par environ 200 incendies dont la plupart sont désormais hors de contrôle de la centaine de pompiers qui tente en vain de limiter les dégâts.

Les feux se développent dans une région qui vient de connaître une vague de chaleur qui a souvent approché les 40°C. Une situation météo qui devrait se maintenir au dessus d’une température de 30°C pendant au moins une semaine, dans les zones qui ne sont pas (encore) touchées par les incendies. Ces derniers contribuent d’autant plus à la forte poussée du thermomètre que près de 400.000 hectares sont abandonnés au feu, faute de personnels et de moyens matériels.

La situation est d’autant plus inquiétante que les feux se propagent sous terre, dans le permafrost, et peuvent resurgir au loin sans qu’il soit possible de deviner où. À plusieurs reprises, non loin de la capitale sibérienne, des pompiers et des volontaires positionnés contre un front de feux ont failli être pris au piège d’un autre incendie surgissant du sol dans leur dos alors que les rares petits avions d’observation n’avaient pas pu les repérer au milieu des fumées que les vents et les tourbillons de chaleur font brusquement changer de cap.

Ce désastre en cours illustre ce que les spécialistes affirment depuis des années : les zones arctiques se réchauffent largement plus vite que le reste de la planète, et ce réchauffement s’accélère chaque année. Ce qui remet en cause la survie de la taïga et de la toundra et de toute la faune et la flore qui la peuple. Cette catastrophe encore plus puissante que les années précédentes remet également en cause la présence humaine et les installations industrielles, minières et pétrolières qui se sont développées depuis des dizaines d’années dans cette Sibérie du Nord. Enfin ces incendies, dont nul ne répertorie les victimes, remettent en cause l’existence et la vie des petits peuples qui tentent déjà de survivre sur ce territoire avec leurs modes de vie traditionnels.

Des villes s’effondrent

Il suffit de répertorier dans la capitale, le nombre d’immeubles à demi écroulés ou de maisons en train de disparaître dans le permafrost qui fond, pour comprendre que la présence humaine est menacée à moyen terme. A Iakoutsk la moitié des constructions sont touchées et à Norilsk, une ville de 180.000 habitants, 60% des immeubles sont endommagés, une bonne centaine étant définitivement inhabitables. Tout simplement parce que toutes les habitations et toutes les installations industrielles ou pétrolières ont été conçues et bâties pour (et sur)un sol stable qui n’existe plus. Ainsi s’explique, par exemple, pourquoi un énorme réservoir de 21 000 tonnes de fuel (prés de Norilsk) s’est brusquement effondré au mois de mai, envoyant son contenu vers la mer.

Autres conséquences : les incendies du mois de juin ont déjà envoyé une centaine de mégatonnes supplémentaires de CO2 dans l’atmosphère et une quantité encore incalculable de méthane alors que ce gaz est encore plus nocif pour le réchauffement que le gaz carbonique. C’est loin, la Sibérie et le seigneur du Kremlin fait tout pour minimiser ce qui s’y passe alors que s’y joue plus que jamais le sort de l’évolution du dérèglement climatique et des prudentes prévisions de la communauté internationale.

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »
Entretien 2 juillet 2025 abonné·es

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »

L’intellectuel syrien est une figure de l’opposition au régime des Assad. Il a passé seize ans en prison sous Hafez Al-Assad et a pris part à la révolution en 2011. Il dresse un portrait sans concession des nouveaux hommes forts du gouvernement syrien et esquisse des pistes pour la Syrie de demain.
Par Hugo Lautissier
Au Chili, un espoir pour la gauche
Analyse 1 juillet 2025 abonné·es

Au Chili, un espoir pour la gauche

Dimanche 29 juin, la candidate du Parti communiste, Jeannette Jara, a emporté haut la main les primaires de gauche. Elle représentera la coalition de centre-gauche Unidad por Chile à l’élection présidentielle, en novembre prochain. Un défi important dans un contexte de droitisation du continent sud-américain.
Par Marion Esnault
Loi Duplomb : comment le gouvernement éteint les voix paysannes
Décryptage 30 juin 2025 abonné·es

Loi Duplomb : comment le gouvernement éteint les voix paysannes



La « loi Duplomb » est discutée en commission mixte paritaire à partir de ce lundi 30 juin. Le texte ne bénéficiera qu’à une poignée de gros agriculteurs et invisibilise celles et ceux qui défendent une agriculture paysanne et vertueuse.
Par Vanina Delmas
Les cadeaux de Macron à l’agro-industrie
Agriculture 30 juin 2025

Les cadeaux de Macron à l’agro-industrie

La loi Duplomb offre de nombreux cadeaux aux défenseurs de l’agriculture productiviste. Cette générosité a émaillé les deux quinquennats d’Emmanuel Macron notamment en matière de pesticides, de fermes-usines et de mégabassines.
Par Vanina Delmas