Marche pour Adama Traoré : Soldats malgré eux

La quatrième marche annuelle en mémoire d’Adama Traoré a réuni plusieurs milliers de personnes le 18 juillet. Les soutiens se maintiennent… tandis que la liste des victimes s’allonge.

Romain Haillard  • 21 juillet 2020 abonné·es
Marche pour Adama Traoré : Soldats malgré eux
© À Persan-Beaumont, dans l’Oise, le 18 juillet.Crédits : Kiran Ridley/Getty Images via AFP

Il y avait un soleil de plomb – comme ce jour de juillet 2016 où Adama Traoré a rendu son dernier souffle dans la caserne de gendarmerie de Persan (Val-d’Oise). Le 18 juillet dernier, à Beaumont-sur-Oise, la famille du défunt organisait pour la quatrième fois une marche en mémoire du jeune homme décédé le jour de ses 24 ans. « Quatre années… Jamais je n’aurais imaginé être ici encore à demander justice », lâche Assa Traoré, sœur aînée d’Adama et figure de l’actuel mouvement contre les violences policières. Les militants affluent chaque année un peu plus nombreux : quelques milliers de personnes ont fait le déplacement. Malheureusement, la liste des victimes s’allonge. Les familles et proches d’autres défunts viennent soutenir les Traoré, conscients que leurs destins sont désormais irrémédiablement liés.

« Vous êtes devenus des soldats malgré vous », lance Assa Traoré à la foule. L’affaire Adama, en effet, a tout du parcours du combattant. Il aura fallu une manifestation monstre le 2 juin au pied du tribunal de Paris pour arracher 16 nouveaux actes d’investigation et une nouvelle expertise médicale commandée à des scientifiques belges.

« Nos histoires n’ont rien à voir », compare Khalid Chouhbi, père de Sabri, mort au guidon de sa moto le 17 mai à Argenteuil. Les soutiens de la famille pointent du doigt un équipage de la BAC présent au moment de la mort du jeune homme de 18 ans. Les premiers éléments de l’enquête disculpent les policiers, mais l’homme à la carrure imposante garde espoir. « Je fais confiance à la justice », répète-t-il comme une prière qu’on souhaite voir s’exaucer : « Peut-être que ça va s’éclaircir, que ça ne durera pas longtemps… » Les traits tirés derrière ses lunettes de soleil, il oppose sa vie actuelle, où « chaque jour est une souffrance », à celle d’avant, « plus tranquille ». Et s’il obtenait justice ? « Je rentre chez moi et je dors », lâche-t-il dans un souffle.

Hadja, elle, semble déjà se préparer à un combat de longue haleine. La sœur aînée d’Ibrahima Bah – mort également à moto, en octobre 2019, à proximité d’un contrôle de police à Villiers-le-Bel – acquiesce quand elle entend Assa Traoré parler de « soldats ». « Tous les jours nous devons nous faire entendre. Nous devons manifester pour demander justice et, malgré ça, nous sommes ignorés », s’indigne cette femme de 42 ans. Depuis la mort de son jeune frère, elle et ses proches réclament les vidéos de trois caméras qui ont filmé la scène. Toujours rien. « En mai, un jeune a péri dans un accident de moto à Montigny-lès-Cormeilles, la police était accusée. Très rapidement, la famille a pu consulter les vidéos, elles innocentent les forces de l’ordre », raconte Hadja, du soupçon dans le regard. À propos de la mort d’« Ibo », les policiers n’ont jamais été entendus et le juge d’instruction a refusé de communiquer une copie des pièces du dossier. « C’est comme si l’enquête n’existait pas », soupire Hadja. La nomination du nouveau ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, lui offre de l’espoir. « Il veut faire de son ministère celui de l’antiracisme et dénonce le fait que les familles ne soient pas reçues par les juges ! » Pour elle, ça devrait être automatique, ça ne devrait pas être une faveur.

D’autres familles tempèrent le caractère guerrier de leur lutte. « Je n’aime pas trop le terme de soldat. C’est trop fort, ce n’est pas notre politique à nous », confie Fatima, mère de Cédric Chouviat, ce livreur décédé en janvier lors d’un contrôle routier à Paris. Elle et sa petite-fille, Sofia Chouviat, débattent à l’abri du soleil de plomb, à l’ombre d’une tonnelle. « Après quatre années sans réponse, c’est normal qu’Assa Traoré soit en colère », admet la mère du défunt avant de continuer : « Nous ne sommes pas contre la police. » Sofia Chouviat rebondit : « Mais l’institution policière doit changer », complétée immédiatement par sa grand-mère : « Il existe une poignée de cow-boys qui n’ont rien à faire dans la police. » La fille de Cédric Chouviat en est convaincue, les policiers d’aujourd’hui n’exercent plus par vocation : « Ils sont sélectionnés par dépit, faute de meilleures candidatures. »

La sérénité de cette famille vient peut-être d’une avancée récente dans leur dossier. Le 16 juillet, les trois policiers impliqués ont été mis en examen. « Nous sommes confiantes, les juges sont bien », commente Fatima. Cependant, les deux femmes ne généralisent pas leur affaire à l’ensemble de l’institution judiciaire. Personne ne devrait avoir à se battre pour obtenir justice.

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