Une souveraineté en faux-nez

La reconquête d’une « souveraineté économique » figure depuis parmi les objectifs de la « reconstruction » annoncée par le chef de l’État, un discours qui n’est pourtant qu’un effet de manche.

Michel Soudais  • 22 juillet 2020
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Une souveraineté en faux-nez
© JOHN THYS / POOL / AFP

Emmanuel Macron assure avoir tiré les leçons des pénuries de masques, de réactifs, de respirateurs et de médicaments qui ont cruellement affecté la capacité de réaction du pays à la pandémie de Covid-19. S’adressant aux Français, le 12 mars, il reconnaissait dans une sorte de mea culpa que c’était « une folie » de « déléguer à d’autres notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie ». Le 31 mars, en visite dans l’usine de masques Kolmi-Hopen, près d’Angers, le président de la République enfonçait le clou et jugeait nécessaire « de monter en volume, d’embaucher et de créer de nouvelles capacités de production ». La « priorité », affirmait-il, était désormais de « retrouver la force morale (?) et la volonté de produire en France » afin de « retrouver [notre] indépendance ».

La reconquête d’une « souveraineté économique » figure depuis parmi les objectifs de la « reconstruction » annoncée par le chef de l’État, qui évoque dans son entretien du 14 juillet « un plan de relance industriel pour bâtir notre souveraineté industrielle et donc faire relocaliser certaines industries ». Ainsi que sa détermination à « bâtir une souveraineté agricole qui n’existe pas ». Une petite musique reprise dès le lendemain par Jean Castex, dans son discours de politique générale. Le Premier ministre y assure que son gouvernement conduira « une relance reconstructive nous permettant de retrouver les voies de la souveraineté économique ».

Bien accueilli, ce discours n’est pourtant qu’un effet de manche car, dans le même entretien, Macron refuse toute augmentation de la fiscalité des plus riches et notamment un retour de l’ISF. Cette politique, explique-t-il, a permis à la France de devenir « numéro 1 en termes d’attractivité en Europe ». Ce résultat obtenu en 2019, dont n’ont pas manqué de se féliciter également Jean Castex et Gilles Le Gendre, le président du groupe LREM à l’Assemblée, mesure la capacité d’un pays à attirer des investissements étrangers. Or ceux-ci ne conçoivent pas d’autre souveraineté que celle de la rentabilité de leurs capitaux, raison pour laquelle les attirer nécessite de simplifier le droit du travail au détriment des salariés et d’alléger toujours plus la fiscalité des entreprises et du capital. Ce qu’a fait avec constance Macron depuis juin 2017. On se souvient notamment de la danse du ventre de Bruno Le Maire devant le gotha de Wall Street. Mais que cette rentabilité vienne à être contrariée ou qu’ils trouvent de meilleures opportunités ailleurs, et ces investisseurs s’en vont. Délocalisent usines ou centres de recherche. Aucune souveraineté ne peut s’appuyer sur eux.

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