Bernie Sanders ne jouera pas les figurants

Si Joe Biden est élu président le 3 novembre, le combat du sénateur « démocrate socialiste » et de ses alliés pour mettre en œuvre leurs idées progressistes ne fera que commencer.

Alexis Buisson  • 9 septembre 2020 abonné·es
Bernie Sanders ne jouera pas les figurants
Conformément à sa promesse de soutenir quiconque affrontera Donald Trump, Bernie Sanders enchaîne les meetings sur la plateforme de visioconférence Zoom pour mobiliser ses troupes.
© KIRILL KUDRYAVTSEV/AFP

Bernie Sanders n’est pas le candidat démocrate à la présidentielle, mais il est toujours en campagne. Depuis sa défaite aux primaires du parti face à l’ancien vice-président Joe Biden, le sénateur du Vermont ne ménage pas sa peine. Conformément à sa promesse de soutenir quiconque affrontera Donald Trump le 3 novembre, il enchaîne les meetings sur la plateforme de visioconférence Zoom pour mobiliser ses troupes autour de Biden, en particulier les électeurs des classes laborieuses, les jeunes et les Hispaniques, auxquels son message de changement radical parle tant. On est bien loin des grands rassemblements publics que cet animal politique affectionne. Qu’importe. « Cette élection porte sur la nature de la démocratie américaine et notre capacité à conserver cette démocratie », répète-t-il à l’envi.

Cependant, il ne faut pas se méprendre sur ce soutien affiché à Joe Biden. Après sa possible élection, ce dernier devra composer avec « Bernie » et ses supporters progressistes (qualificatif désignant la gauche du Parti démocrate, partisane de réformes structurelles profondes dans le domaine de l’éducation, de la justice et de la santé notamment). Sanders a d’ores et déjà affiché la couleur en annonçant qu’il se mobiliserait pour que ses idées deviennent réalité, même en cas de victoire démocrate. Entre le « Medicare for All » (assurance-santé pour tous), la mise en œuvre du « Green New Deal » (un imposant paquet de mesures environnementales et de justice sociale destinées à assurer la transition énergétique des États-Unis) ou encore la gratuité de l’université, il a de nombreuses propositions à défendre.

« Joe Biden a intérêt à maintenir l’énergie du camp progressiste. Celui-ci va rapidement lui demander des comptes. Il faudra qu’il démontre qu’il est prêt à agir sur le front de la santé, de l’action climatique et des questions raciales. Il ne devra pas décevoir sa base sur ces sujets-là », souligne Célia Belin, chercheuse à la Brookings Institution à Washington et auteure de l’ouvrage Des démocrates en -Amérique : l’heure des choix face à Trump. Les progressistes ont des arguments à faire valoir : « C’est cette aile-là qui mobilise dans les rues et structure les militants dans les campagnes », poursuit la politologue.

Joe Biden l’a bien compris. Soucieux de ne pas répéter les erreurs commises en 2016 par -Hillary Clinton, qui avait exclu le camp Sanders après sa victoire aux primaires (et en a payé le prix fort dans les urnes), le candidat investi par le parti a rapidement montré des signes d’ouverture.

La parade nuptiale s’est déroulée en plusieurs étapes. Après que « Bernie » a annoncé la fin de sa campagne en avril, Joe Biden s’est rapproché de certaines positions de son ancien adversaire dans le domaine de la santé et de l’environnement. Le mois suivant, de concert avec lui, il a mis en place des groupes de travail thématiques destinés à élaborer une liste de « souhaits » en vue d’une possible présidence. Plusieurs figures de la gauche de la gauche y ont participé, comme la jeune députée du Bronx et du Queens Alexandria Ocasio–Cortez, qui a coprésidé le groupe de travail sur le changement climatique. Il en est sorti un document de 110 pages qui fait la part belle à certaines idées défendues par Sanders en 2016 et en 2020, et par plusieurs groupes progressistes comme le mouvement de jeunes écologistes Sunrise. Parmi elles, décarboner l’économie états-unienne d’ici à 2050, financer le développement de la maternelle pour tous (universal pre-Kindergarten), augmenter le salaire minimum et supprimer les cautions exigées des personnes en attente de comparution au tribunal car elles pénalisent les plus pauvres. « Nous voulions orienter la campagne de Joe Biden dans le sens le plus progressiste possible, et je pense que nous l’avons fait », s’est félicité Bernie Sanders en juillet au micro de la radio publique NPR. « Immigration, justice, éducation, économie, santé, climat : sujet après sujet, un mouvement significatif se dessine dans la campagne de Joe Biden. »

Nombre de ces propositions ont été reprises dans le programme officiel du Parti démocrate. Adopté lors de la convention nationale du parti en août, le document est purement symbolique, mais il donne une bonne idée de l’orientation actuelle de la gauche américaine. On y trouve une référence à Medicare for All, l’un des chevaux de bataille de Bernie Sanders. Il fixe également des objectifs ambitieux dans la lutte contre le changement climatique, un des points faibles de Joe Biden (neutralité carbone des centrales à l’horizon 2035, installations de 500 millions de panneaux solaires et de 600 000 éoliennes supplémentaires dans les cinq ans…), et appelle à l’instauration d’un salaire minimum horaire à 15 dollars et d’un congé familial payé obligatoire, ainsi qu’à davantage de contrôles sur les armes à feu, entre autres mesures. Le camp Sanders guette aussi la présence de progressistes au sein d’un éventuel gouvernement Biden. Le nom de la sénatrice Elizabeth Warren, connue pour son travail sur la protection des consommateurs et la taxation des grandes fortunes, est cité pour le ministère de l’Économie.

Malgré ces avancées, le camp progressiste sait qu’il devra rester vigilant. La sélection de Kamala Harris comme colistière de Joe Biden, vue avec méfiance par l’aile gauche du parti en raison de son bilan jugé trop favorable à la police lorsqu’elle était procureure générale de Californie, a refroidi certains supporters de Bernie Sanders. Tout en reconnaissant le caractère historique de la nomination de Kamala Harris, qui fait d’elle la première femme non blanche à figurer sur le ticket d’un grand parti, Angela Lang ne baisse pas la garde. « Nous allons voter pour Joe Biden et Kamala Harris, mais cela ne veut pas dire que nous cesserons de les critiquer une fois qu’ils seront au pouvoir », souligne cette responsable associative qui cherche à mobiliser l’électorat afro-américain dans le Wisconsin, un État clé du Midwest. «Aucun n’est parfait. Mais il sera plus facile de réclamer des changements sous une présidence Biden-Harris que sous Donald Trump. N’importe qui sera mieux que lui. »

En outre, Joe Biden pourrait être tenté de se distancier de ses alliés à sa gauche dans la dernière ligne droite de la campagne. En effet, à moins de deux mois de l’élection, le président américain et le Parti républicain font tout pour le dépeindre comme un dangereux « socialiste » à la solde de Bernie Sanders et favorable au mouvement Defund the police, qui appelle à l’abolition des forces de l’ordre ou à une forte réduction de leur budget. En réalité, Joe Biden veut débloquer 300 millions de dollars pour les départements de police locaux qui révisent leurs politiques de recrutement de façon à refléter la diversité des villes et des quartiers qu’ils surveillent.

Même si on peut le créditer d’avoir imposé ses idées au parti depuis 2016, bien aidé par la chaotique présidence de Donald Trump, Bernie Sanders sait qu’il ne peut pas s’en tenir aux promesses de Biden. « Au lendemain de son élection, a-t-il dit dans une interview au New York Times le 17 août, nous devrons nous mobiliser et nous organiser dans tout le pays pour nous assurer que Biden devienne aussi progressiste que possible et que les démocrates contrôlent le Congrès, et nous devrons maintenir suffisamment de pression sur Nancy Pelosi et Chuck Schumer [les responsables des démocrates dans les deux chambres du Congrès, NDRL] pour qu’ils mettent en œuvre un programme progressiste. » Selon lui, la crise sanitaire et l’effondrement historique de l’économie qui en a découlé lui donnent raison, en particulier sur la création d’une assurance-santé universelle déconnectée de l’activité professionnelle de son bénéficiaire. En effet, dans le système actuel, des millions de personnes sont couvertes par leur employeur. Privées d’emploi, elles se retrouvent à la merci financière d’un problème médical.

Heureusement pour Bernie Sanders, l’année 2020 a confirmé que la relève était assurée. En plus d’avoir reconduit Alexandria Ocasio-Cortez et d’autres jeunes élues progressistes, les primaires démocrates pour la Chambre des représentants et le Sénat ont vu apparaître de nouvelles figures, quasiment assurées de faire leur entrée au Congrès en novembre. Parmi elles, Jamaal Bowman et Cori Bush, qui ont devancé des ténors du Parti démocrate respectivement à New York et dans le Missouri, à la manière d’Alexandria -Ocasio-Cortez en 2018. À 78 ans, Bernie Sanders est « très fier » de cette nouvelle génération marchant dans ses pas, a-t-il affirmé au New York Times. Il n’est pas près de raccrocher.

Monde
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