« Cent mètres papillon » : Le nageur après la course

Maxime Taffanel évoque sur scène sa modeste carrière de sportif des bassins.

Gilles Costaz  • 14 octobre 2020 abonné·es
« Cent mètres papillon » : Le nageur après la course
Il est rare que les sportifs eux-mêmes viennent en scène, avec leur propre texte.
© Ludo Leleu

ent mètres papillon est un spectacle qui tourne depuis trois ans, arrive enfin à Paris (au théâtre de Belleville) et repartira en tournée : il séduit un public plutôt jeune, attiré avec raison par un exercice de vérité – et de traduction par le théâtre – autour du sport de compétition.

En règle générale, ce sont plutôt les observateurs et les connaisseurs qui traitent de ce thème à la scène. Le cyclisme, le football, la course à pied, le tennis ont inspiré beaucoup de spectacles, de façon souvent convaincante car le stade et le lieu de -représentation, la tension d’une épreuve et le suspense d’une action dramatique partagent nombre de points communs évidents. Mais il est rare que les sportifs eux-mêmes viennent en scène, avec leur propre texte. Éric Cantona n’écrit pas lui-même ses passages au théâtre, que l’on sache.

Maxime Taffanel, lui, est l’auteur de sa pièce sur la natation, il la défend en personne. On précisera qu’après une vie de champion (champion relatif : il n’a pas collectionné les titres !), il est devenu acteur. C’est avec une réelle expérience de la scène qu’il interprète sa brève saga d’un athlète sans grade de la brasse papillon.

Pas de bassin, pas d’eau sur la scène. Juste un sol bleu nuit où se dessinent les couloirs d’une compétition invisible et le fauteuil où viennent se poser le juge comme le sportif. Maxime Taffanel a pris le parti d’un seul-en-scène et Nelly Pulicani assure une mise en scène sans réalisme ni imagerie, centrée sur la présence très physique de l’interprète et posée sur une certaine obscurité. Le spectateur est sans doute invité à faire défiler toutes les scènes d’actualité qu’il veut. Car qui n’a pas dans la tête des images de victoire et de défaite dans l’eau chlorée et le brouhaha des batailles olympiques ? Qu’on décore à sa guise et en soi-même la nudité du plateau !

Ce spectacle, c’est l’anti-reportage télévisé. C’est le sport exprimé de l’intérieur du métier et de l’intérieur d’un corps dont on voit jouer les pectoraux (pour rire, et non pour célébrer le culturisme !). En fait, dans le texte de Maxime Taffanel, il y a deux coulées, l’une qui dit son amour de l’eau, l’autre qui conte le sport tel qu’il est et l’aventure personnelle d’un sportif de niveau moyen. C’est assez étonnant, ce chant aquatique, cette confidence sur une sensualité du corps plongé dans un liquide et qui perçoit d’autres théorèmes que ceux d’Archimède : l’eau pousse le compétiteur comme une amie ou le freine comme une ennemie. De toute façon, il l’aime !

Quant à la pratique du métier, la voilà transcrite à travers des mots d’ordre inévitablement militaires. Maxime Taffanel, en intonations saccadées, fait voler les conseils et les commentaires brutaux des chefs. Tout est affaire de chrono, on s’en doute, et, si l’on est en dessous des 32 secondes 6 dixièmes (notre chiffre risque de ne pas être exact, qu’on nous le pardonne !), c’est l’engueulade, l’exhortation à faire mieux la prochaine fois ou à débarrasser le plancher, ou plutôt l’eau du bassin.

Après plusieurs années de grande implication dans son club, le nageur Taffanel s’entendra dire qu’il est toujours dans des temps supérieurs à ceux qui permettent d’être en haut des classements. Et ce sera l’adieu aux bassins professionnels pour vivre le simple bonheur de celui qui fend l’eau et renonce au dépassement forcené.

Le jeu du comédien privilégie l’expression des sensations. Sa représentation de l’essoufflement, des combats de la cage thoracique au moment de la récupération tient du tableau de Bacon. Elle met à nu la souffrance qui se cache sous l’effort, qu’il soit glorieux ou pathétique. Les gestes qui figurent la brasse papillon prennent une belle forme tourbillonnante et chorégraphiée. Maxime Taffanel témoigne en transposant son expérience, sans hargne, avec pas mal de drôlerie, dans une brillante contre-plongée.

Cent mètres papillon, Théâtre de Belleville, Paris XIe, 01 48 06 72 34, jusqu’au 28 novembre, puis en tournée jusqu’en juin.

Théâtre
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