Le capitalisme numérique, une question de taille

On ne bascule pas dans le capitalisme numérique, on s’enfonce dans le capitalisme tout court.

Mireille Bruyère  • 7 octobre 2020
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Le capitalisme numérique, une question de taille
© David Himbert / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Le débat sur la 5G fait écho aux analyses nombreuses sur l’avènement du capitalisme numérique. La crise sanitaire aidant, les géants du numérique ont vu exploser leur chiffre d’affaires. Ce n’est que l’accélération d’un processus déjà à l’œuvre depuis quatre décennies, à savoir la numérisation des modes de production et de consommation. La critique sociale-démocrate de cette transformation dénonce la constitution de monopoles privés géants produisant inégalités et contournement des États sociaux. Pour elle, la numérisation productive ne pose pas de problème politique en tant que telle. La critique marxiste du capitalisme numérique pointe la capacité de ces plateformes à capter la valeur produite ailleurs. Ces entreprises numériques sont alors identifiées à des prédateurs qui prélèvent une valeur économique existante et créée par des entreprises classiques.

Ces deux critiques proposent la transformation de ces géants numériques en service public. Cette transformation protégera les travailleurs et limitera les productions inutiles. Ces analyses se limitent à la question de la propriété privée des plateformes sans questionner la signification politique de la transformation numérique. Celle-ci n’est pas simplement critiquable pour ses inégalités. Elle produit une aliénation vis-à-vis des systèmes numériques, dont les inégalités économiques ne sont qu’une dimension. Rappelons que cette numérisation du capitalisme n’est pas contingente, elle a pour objectif de rationaliser la production et la consommation. Elle se présente d’ailleurs comme cela : aller plus vite, plus loin, produire et consommer plus en moins de temps. Or, cette accélération s’appuie sur des systèmes de production déjà intégrés au niveau mondial, les chaînes globales de valeur, qui doivent alors s’étendre à toutes les sphères de la vie. Une part de plus en plus importante des entreprises numériques s’occupe de produire non plus des marchandises, mais des humains standardisés et performants, comme le montre la poussée numérique dans l’éducation et la santé.

Le capitalisme numérique, c’est l’intégration numérique de l’ensemble de la société sous le signe de la rationalisation. Il se définit par la cohérence technologique de trois types d’entités : l’infrastructure du réseau (entreprises télécoms), la collection et le traitement de l’information (algorithmes et IA) et les terminaux (entreprises d’informatique). Ces trois entités ont un codéveloppement technologique cohérent visant la rationalisation. Elles doivent toujours s’appuyer sur les autres entreprises industrielles qui produisent les valeurs d’usage. Les grandes entreprises automobiles, aéronautiques, textiles, pétrolières vont largement profiter de cette numérisation et en particulier du déploiement de la 5G. On ne bascule pas dans le capitalisme numérique, on s’enfonce dans le capitalisme tout court. Ces grands systèmes intégrés sont démesurés. Si l’on définit l’émancipation par la capacité des communautés à définir par elles-mêmes leur manière de produire et de consommer, alors la taille démesurée de ces grands systèmes numériques signifie que cette rationalisation est une aliénation.

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