Feu sur les manifs

L’historienne Danielle Tartakowsky analyse les évolutions des mobilisations de rue. Les sociologues Fabien Jobard et Olivier Fillieule pointent, eux, leur répression accrue et l’érosion du droit.

Olivier Doubre  • 25 novembre 2020 abonné·es
Feu sur les manifs
© GEORGES GOBET / AFP

Il est peu de dire que les manifestations politiques de rue ont changé, depuis celles contre la loi travail du gouvernement Valls en 2016 jusqu’aux grèves des transports en 2019 en passant par le long mouvement, à partir d’octobre 2018, des gilets jaunes. Un double processus caractérise ce changement. D’un côté, une évolution des formes des cortèges, le recours parfois à des actes de violence, leur moindre encadrement par les organisations syndicales traditionnelles, voire l’investissement de lieux jusque-là inédits. De l’autre, une répression de plus en plus violente, un contrôle policier symbolisé par la pratique de la nasse et l’emploi d’armes dites « intermédiaires », qui blessent souvent gravement, le tout dans un recul net – et inquiétant – du simple droit à manifester.

Deux essais analysent ces mutations. Celui de Danielle Tartakowsky, auteure de nombreux livres sur les mobilisations sociales, se concentre davantage sur les nouvelles formes de cortège ou de rassemblement, quand les sociologues Fabien Jobard et Olivier Fillieule, respectivement chercheur au Cesdip (le centre d’études du ministère de la Justice, associé au CNRS) et professeur à l’université de Lausanne, analysent surtout les multiples restrictions du droit à manifester. Ils en proposent d’abord une histoire, puis observent les « durcissements », à partir du nouveau millénaire, des pratiques policières, pour en arriver, ces dernières années, à une « brutalisation du maintien de l’ordre ».

Depuis la loi travail, nombre de mouvements, de Nuit debout aux gilets jaunes, ont emprunté des formes nouvelles, avec des participants inconnus des services de renseignement, ce qui engendre, explique Danielle Tartakowsky, une vraie difficulté à appréhender cette mobilisation « protéiforme », comme avait pu l’être, en 2005, celle des émeutes des banlieues. Sans couleur politique claire, sans organisations, les « dos de gilet jaune », avec leurs inscriptions, sont devenus une sorte de « cahier de doléances individuel ». Et l’historienne de relever notamment la nouveauté des lieux de rassemblement, qui ne sont plus dans l’Est parisien habitué des défilés syndicaux, mais sur les Champs-Élysées et aux riches abords de l’Arc de triomphe, jadis réservés à la droite.

On reste frappé aussi par l’évolution des formes de la répression, encadrée par un arsenal de mesures juridiques, entre état d’urgence, antiterrorisme et autres régressions des droits de réunion et d’expression de la contestation politique, entraînant (ou permettant) des violences policières encore jamais constatées. Les deux sociologues font ainsi le constat d’un maintien de l’ordre désormais « militarisé », synonyme de « politiques du désordre » qui lacèrent les principes de la démocratie.

On est là ! La manif en crise Danielle Tartakowsky, éditions du Détour, 272 pages, 19,90 euros.

Politiques du désordre. La police des manifestations en France Olivier Fillieule et Fabien Jobard, Seuil, 304 pages, 21 euros.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes les plus forts à gauche »
Entretien 18 novembre 2025 abonné·es

Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes les plus forts à gauche »

Alors que le gouvernement échappe à un vote budgétaire et que le PS choisit la négociation, le leader insoumis dénonce une « comédie démocratique » et acte la rupture avec les socialistes. Sa stratégie : refonder une gauche de rupture, préparer les municipales en autonomisant La France insoumise et affronter les grands débats sur l’immigration, le syndicalisme, l’Ukraine, la Chine et le Proche-Orient.
Par Lucas Sarafian, Pauline Migevant et Pierre Jequier-Zalc
Les pédés sont des sorcières comme les autres
Essai 14 novembre 2025 abonné·es

Les pédés sont des sorcières comme les autres

Dans un essai visionnaire initialement publié en 1978, l’auteur et militant gay Arthur Evans dresse des ponts entre la culture des sorcières et le destin des communautés LGBT à travers les âges. Une histoire rythmée par les dominations sexistes, homophobes, racistes et écocidaires.
Par Salomé Dionisi
13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »
Entretien 13 novembre 2025 abonné·es

13-Novembre : « On a focalisé le procès sur la question de la religion »

Les audiences avaient duré dix mois et réuni une centaine de parties civiles. En septembre 2021, vingt accusés comparaissaient devant la cour d’assises spéciale de Paris dans le procès des attentats du 13 novembre 2015. Maître de conférences en science politique, Antoine Mégie a mené, avec trois coautrices, une enquête au long cours sur le procès.
Par Olivier Doubre
Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »
Entretien 5 novembre 2025 abonné·es

Sophie Béroud : « 1995 est le dernier mouvement social avec manifestations massives et grèves reconductibles »

Des millions de personnes dans les rues, un pays bloqué pendant plusieurs semaines, par des grèves massives et reconductibles : 1995 a été historique par plusieurs aspects. Trente ans après, la politiste et spécialiste du syndicalisme retrace ce qui a permis cette mobilisation et ses conséquences.
Par Pierre Jequier-Zalc