Inégaux face au réchauffement

Un travail inédit en France, réalisé par Notre affaire à tous, décrypte l’injustice de la crise climatique, qui frappe d’abord les populations et territoires déjà précarisés.

Vanina Delmas  • 16 décembre 2020 abonné·es
Inégaux face au réchauffement
À Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, après le passage de la tempête Gretel, le 16 mars 2020.
© THEO ROUBY/AFP

La crise climatique est aussi une crise sociale. Le constat est ferme, implacable et déconcertant. Depuis le mouvement des gilets jaunes, « fin du monde, fin du mois, même combat » est clamé dans les manifestations pour le climat et autres mouvements sociaux. Dans un rapport très dense et informatif intitulé « Un climat d’inégalités (1) », l’association Notre affaire à tous (NAAT) documente, décrit et décrypte les réalités derrière ce slogan : inégalités territoriales, générationnelles, de genre, répercussions économiques, sociales, sanitaires, sur l’éducation, les conditions de travail… Une première en France.

Les études universitaires et les rapports politiques étant rares sur ce sujet, NAAT s’en est emparé en lançant un travail de veille médiatique il y a plus d’un an pour nourrir sa newsletter Impacts sur les conséquences socio-environnementales du dérèglement climatique, puis pour établir ce rapport de 140 pages révélant une multitude de références et de chiffres, et s’appuyant sur quatorze témoins attestant des effets du dérèglement sur le territoire français.

Pour Clothilde Baudouin, responsable du projet « Inégalités climatiques » à Notre affaire à tous, le combat de l’association « va au-delà des tribunaux » en choisissant la justice environnementale et sociale comme clé de lecture et d’action : « Si on agit, c’est pour rendre justice aux plus précaires, pour que personne ne soit laissé de côté. Après ces années critiques de défaillances climatiques, la réalité des inégalités climatiques et l’impératif de justice sociale doivent guider l’élaboration de politiques publiques pour permettre à toutes et tous de vivre dans une société résiliente. »

Cette étude permet également de détricoter des idées reçues. Si les pays de l’hémisphère sud sont plus vulnérables au dérèglement climatique, la France n’est pas épargnée : l’ONG Germanwatch l’a classée au quinzième rang de son indice mondial des risques climatiques sur la période 1999-2018. Selon le Giec, la France métropolitaine a connu un réchauffement d’environ 1,4 °C depuis 1900, quand la moyenne mondiale est estimée à 0,9 °C entre 1901 et 2012. Et à l’intérieur même d’un territoire, l’expression « nous sommes tous dans le même bateau » ne tient pas : le Conseil économique pour le développement durable affirme qu’en France la consommation des 20 % de ménages les plus modestes représente 11 % des émissions de CO2 alors que celle des 20 % les plus aisés est responsable de 29 % des émissions de gaz à effet de serre.

Caractérisée par ses massifs montagneux et ses 7 000 kilomètres de côtes – dont 1 500 outre-mer –, la France voit sa vulnérabilité grandir, tout comme les impacts sur les habitants. « Ce qui est le plus visible et marquant est le glissement des saisons : la variation dans les chutes de neige nous force à modifier les périodes d’activité de l’alpinisme et du ski, à nous adapter rapidement à des changements brusques de température qui modifient profondément l’enneigement, élément au cœur du métier », souligne Paulo Grobel, guide de haute montagne dans les Alpes depuis une quarantaine d’années. Les agriculteurs des régions montagneuses s’adaptent au gré des sécheresses. Raphaël Baltassat, 39 ans, cultive des céréales et élève des vaches pour la production de lait à reblochon sur une ferme bio en Haute-Savoie. Outre qu’il aménage ses champs en plantant des arbres pour gagner en fraîcheur et en humidité, il travaille depuis 2005 sur les semences paysannes en lien avec le groupe blé de l’Ardear Rhône-Alpes (2) : « De l’Espagne à la Scandinavie, nous choisissons des variétés qui s’adaptent à leur milieu depuis des milliers d’années. Si une variété de blé, par exemple, arrive à pousser dans des zones quasiment désertiques, alors elle s’en sortira forcément ici en Haute-Savoie. »

Dans sa partie plaidoyer, NAAT appelle l’État à remédier aux injustices existantes, notamment en matière fiscale, et en mettant fin aux régimes d’exception touchant certains territoires, certaines populations, notamment les personnes catégorisées comme « gens du voyage » (3). William Acker, juriste, et chercheur, cartographie depuis un an les aires d’accueil : à ce stade de son étude, 63 % d’entre elles jouxtent une autoroute, une déchetterie, une station d’épuration, ou sont situées sous des lignes à haute tension ; 80 % sont isolées des zones habitées, beaucoup se situent en zone inondable. « Vivre dans ces parkings standardisés, le plus souvent sans arbres ni ombre, relève du non-sens. L’asphalte colle aux souliers, des flammes sans feu dansent sur les surfaces noires. L’été, les sols atteignent régulièrement 75 °C, la chaleur se cumule aux poussières, aux vibrations, aux bruits et aux odeurs », témoigne-t-il.

La vérité la plus flagrante, en lisant ce riche rapport, c’est l’accumulation des vulnérabilités, des discriminations, et donc des inégalités : sociales, économiques, sanitaires, environnementales… Ainsi, les habitants des zones urbaines sensibles (ZUS) vivent souvent dans des zones denses, bétonisées, peu végétalisées, polluées, et dans des logements moins bien isolés, surpeuplés : peu de remparts face aux vagues de chaleur qui se répètent. En 2003, la Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France métropolitaine, était le deuxième le plus touché par la canicule, avec une surmortalité de 160 %. Les -territoires ultramarins et les peuples autochtones qui y vivent ne sont pas épargnés : le déclin de la biodiversité et les catastrophes liées au dérèglement climatique ont un impact direct sur leur identité culturelle, fondée sur une intimité avec le vivant, leur vie quotidienne dépendant de la chasse, la pêche, la cueillette… En Nouvelle-Calédonie, les fortes pluies, les vents violents, l’érosion creusant les routes inquiètent de plus en plus le peuple kanak. « À la base de la coutume et de notre mode de vie, s’il y a un cyclone, il y a un cyclone : nous n’essayons pas d’anticiper les cycles naturels. Mais le changement climatique nous fait penser de manière différente. Les jeunes générations commencent à s’éloigner des côtes parce qu’elles connaissent le risque de submersion », explique Ricardo Pelletier, coordinateur du Comité consultatif coutumier environnemental en Nouvelle-Calédonie.

Prendre véritablement en compte ces inégalités de responsabilité et de vulnérabilité des différentes catégories sociales permettrait de bâtir des politiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique pertinentes, socialement justes et acceptées par la population.

(1) Disponible en PDF sur notreaffaireatous.org

(2) Association régionale pour le développement de l’emploi agricole et rural.

(3) Lire Politis n° 1626, 5 novembre 2020.

Écologie
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