Climat : La France coupable d’inaction

Le tribunal administratif de Paris a acté la responsabilité de l’État dans la crise climatique. Une première victoire symbolique, avant une nouvelle décision dans deux mois.

Vanina Delmas  • 10 février 2021 abonné·es
Climat : La France coupable d’inaction
Jean-François Julliard (Greenpeace) et Cécile Duflot (Oxfam) à l’ouverture du procès contre l’État, le 14 janvier
© THOMAS COEX / AFP

H istorique ». Le mot est lâché et répété inlassablement par les quatre associations à l’origine du recours en justice pour « carence fautive » de l’État, connu sous le nom de « l’Affaire du siècle » – Notre affaire à tous, Greenpeace, Oxfam et la Fondation Nicolas-Hulot (FNH). Le 3 février, le tribunal administratif de Paris a rendu son délibéré : il reconnaît la responsabilité partielle de l’État français dans la crise climatique. Plus précisément, le juge a reconnu que l’État a commis une « faute » en ne respectant pas ses engagements de réduction des gaz à effet de serre (GES) sur la période 2015-2018, et que « ce dommage porte une atteinte aux fonctions écologiques de l’atmosphère, atteinte constitutive d’un préjudice écologique actuel ». La France s’était engagée à diminuer ses émissions de 40 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 1990 et à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 dans sa stratégie nationale bas carbone (SNBC). Le tribunal a condamné l’État à verser un euro symbolique aux quatre associations requérantes pour « le préjudice moral ». Une première victoire vitale pour elles et pour les 2,3 millions de personnes qui avaient signé la pétition en moins d’un mois en décembre 2019.

Lors de l’audience du 14 janvier, la rapporteure publique qualifiait elle-même l’événement de « premier grand procès climatique en France ». Pour Clémentine Baldon, avocate de la FNH, le mot « historique » n’est pas exagéré. Tout d’abord, c’est bien la première fois qu’il y a un procès sur le changement climatique en France et que l’État est jugé responsable pour ses manquements sur ce sujet. « Il fallait d’abord reconnaître l’obligation pour l’État de respecter ses engagements, c’était une vraie difficulté juridique. Là, le juge se base sur l’accord de Paris, les engagements de la France au sein de l’Union européenne, et sur le droit national. Ensuite, il fallait montrer que ces engagements n’ont pas été respectés. Sur ce point, l’État ne pouvait pas vraiment contester et le juge a reconnu que cela constituait un manquement. C’est une réelle avancée ! Enfin, il a reconnu un lien de causalité : l’État s’était engagé à réduire les émissions de GES de la France à un certain rythme, il a manqué à cette obligation, donc cela engage sa responsabilité », résume-t-elle. Pour Marie Toussaint, cofondatrice de Notre affaire à tous (NAAT) et aujourd’hui eurodéputée EELV,« les juges disent aujourd’hui clairement que ces promesses n’engagent pas celles et ceux qui les écoutent, mais d’abord ceux qui les formulent, et que les États ne peuvent plus continuer à faire reposer la responsabilité sur d’autres (États tiers, entreprises, ou citoyens), mais doivent s’engager pleinement, sincèrement et concrètement dans la lutte contre le dérèglement climatique ». En 2015, c’est elle qui avait lancé l’idée à première vue surréaliste de poursuivre l’État français en justice pour dénoncer son inaction climatique. Avec son équipe de NAAT, elle s’inspirait alors de l’ONG Urgenda, qui a attaqué en justice les Pays-Bas et a obtenu gain de cause en octobre 2018, puisque le tribunal avait alors sommé le pays de réduire ses émissions de GES d’au moins 25 % d’ici à 2020.

« Le juge a fait un réel effort de pédagogie, car il avait conscience que ce jugement serait décrypté en France et dans le monde entier, souligne Cécilia Rinaudo, coordinatrice générale de NAAT. La portée historique de sa décision tient aussi à la reconnaissance de la preuve scientifique, qui constitue la base de son argumentaire puisqu’il se réfère aux rapports du Giec ou du Haut Conseil pour le climat. Il parle des dangers du change-ment climatique. Cela fait des années que nous alertons sur cet enjeu sans être pris en considération. » Au-delà de la dimension symbolique de ce jugement, essentielle dans la dynamique de la justice climatique mondiale, celui-ci pourrait ouvrir la voie à de nouveaux recours juridiques pour les victimes du changement climatique grâce à la reconnaissance du préjudice écologique. Une décision inédite dans le droit administratif. La justice affirme qu’il y a bien un préjudice écologique et que, par ses manquements, l’État a contribué à son aggravation. Se pose alors la question de sa réparation. _« Le code civil prévoit que le préjudice écologique se répare en priorité en nature, c’est-à-dire qu’on ne vous indemnise pas. Par exemple, pour un cas de pollution d’une rivière, la réparation serait la dépollution de l’eau ou la réintroduction de poissons. __Pour le changement climatique, c’est plus complexe. Le tribunal a reconnu le préjudice écologique mais précise qu’il ne peut pas se réparer financièrement »_, décrypte Clémentine Baldon.

Le tribunal a ordonné un supplément d’instruction et donné un délai de deux mois aux deux parties. Les associations requérantes vont affûter leurs arguments afin de convaincre le juge qu’il est nécessaire d’enjoindre à l’État d’agir, et d’identifier quelles mesures pourraient corriger le préjudice écologique et rattraper le retard. Quant à l’État, il devra se justifier deux fois : dans l’Affaire du siècle, mais aussi dans le contentieux climatique déposé par la ville de Grande-Synthe (Nord). En novembre 2019, le Conseil d’État lui a donné trois mois pour démontrer qu’il mettait bien en place des mesures pour atteindre ses objectifs à l’horizon 2030. L’ultimatum prend fin le 19 février.

Depuis trois ans, le gouvernement a suivi une stratégie oscillant entre manque de volonté politique, mépris des ONG et tentative de se dédouaner en faisant porter la responsabilité aux gouvernements précédents. Dans les faits, les avocats des ONG ont dû faire preuve de patience face à des ministres qui ont plusieurs fois joué la montre. « En juin 2020, ils ont attendu le dernier jour pour déposer leurs arguments et leur mémoire. Il a fallu que les juges décident d’une date de clôture de l’instruction pour que l’État réponde. Même procédé le vendredi avant l’audience : ils ont tenté un coup de poker en déposant un nouveau mémoire malgré la clôture de l’instruction, espérant ainsi que le juge décalerait le rendez-vous », raconte Cécilia Rinaudo.

Dans les discours, il a fallu faire preuve de diplomatie, notamment face à François de Rugy, alors ministre de la Transition éco- logique, qui déclarait en 2018 que « ce n’est pas à des juges de forcer le gouvernement à prendre une loi ». Avec Barbara Pompili aux commandes, le ton est plus doux mais la ligne de défense reste ferme : le gouvernement met tout en œuvre depuis 2017. Dernier alibi : le projet de loi climat et résilience, issu des réflexions de la Convention citoyenne pour le climat, présenté en Conseil des ministres le 10 février. Or les associations sont très sceptiques, les propositions des citoyens ayant déjà été très asséchées. « Puisqu’il se targue d’être le champion de la Terre, le gouvernement aurait pu agir sans attendre la décision du juge, mais il n’a rien fait, s’indigne la porte- parole de Notre affaire à tous. Aujourd’hui, il n’est pas trop tard pour qu’il revoie sa loi climat car, pour le moment, elle est loin de respecter les objectifs climatiques. » Autre bienfait de cette « affaire du siècle » : révéler encore un peu plus le double discours néfaste de la macronie sur l’écologie.

Écologie
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