La démocratie confinée

De prorogation en prorogation, l’état d’urgence sanitaire installe dans la durée un régime d’exception. Sans véritable contrôle politique et démocratique.

Michel Soudais  • 2 février 2021
Partager :
La démocratie confinée
© Photo montage : THOMAS COEX / AFP et Riccardo Milani / Hans Lucas via AFP

Lors du premier déclenchement de l’état d’urgence sanitaire, il y aura bientôt un an, le gouvernement et le président de l’Assemblée nationale assuraient que la crise due au Covid, en dépit des contraintes qu’elle impose, ne saurait confiner la démocratie. Cette belle promesse a fait long feu. Ce mardi, les députés s’apprêtaient à adopter définitivement un projet de loi prorogeant jusqu’au 1er juin l’état d’urgence sanitaire, en vigueur depuis le 17 octobre, en gommant au passage les modestes garde-fous que les sénateurs avaient introduits dans le texte.

Ce régime juridique exceptionnel restreint les libertés de tous les citoyens bien plus durement que l’état d’urgence en vigueur du 13 novembre 2015 au 1er novembre 2017 pour lutter contre le terrorisme. Il autorise des mesures de restriction ou d’interdiction des déplacements, comme le couvre-feu national à 18 h, des rassemblements ou des ouvertures des établissements, sur tout ou partie du territoire, ainsi que possiblement des confinements partiels ou complets de la population.

Dans cette hypothèse probable, le Sénat réclamait qu’un confinement ne puisse être prolongé au-delà d’un mois sans que le gouvernement revienne en débattre avec les parlementaires. Cette garantie démocratique a été refusée en commission mixte paritaire au prétexte qu’elle entraverait les décisions du gouvernement. Il voulait également interdire à l’exécutif la possibilité de réglementer les _« conditions de présence ou d’accès aux locaux à usage d’habitation ». Refusé encore.

« En mars, dans le cadre de ces premiers travaux, a reconnu un député de droite, nous ne nous sommes pas interrogés sur le contrôle politique et démocratique de l’état d’urgence sanitaire, cantonnant nos débats à des aspects essentiellement techniques. » De prorogation en prorogation, le gouvernement n’est pas pressé d’en accepter un. En témoigne la dissolution, votée le 27 janvier à l’initiative des députés LREM, de la mission d’information créée en mars pour assurer _« un suivi renforcé de la gestion de la crise sanitaire ». De quoi satisfaire Emmanuel Macron, qui se plaignait quelques jours plus tôt d’être à la tête d’une nation de « 66 millions de procureurs ».

Le gouvernement a donc plus que jamais les mains libres. Alors même que nombre de ses décrets et ordonnances, autorisés par ce régime d’exception et adoptés sans concertation avec les partenaires sociaux, ont mis à mal la démocratie sociale, estime la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans une « déclaration »_ approuvée à l’unanimité moins trois abstentions et rendue publique le 28 janvier. Déclaration qui invite à sortir au plus vite de ce « régime d’exception ».

Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Algérie : unis derrière le RN, les députés effacent la mémoire coloniale
Parti pris 30 octobre 2025

Algérie : unis derrière le RN, les députés effacent la mémoire coloniale

L’Assemblée nationale a adopté, pour la première fois sous la Ve République, un texte du Rassemblement national. Il ne fallait qu’une voix de plus pour l’en empêcher. Derrière la technicité du débat sur l’accord franco-algérien de 1968, c’est un basculement politique majeur.
Par Pierre Jacquemain
Alerte rouge sur le front républicain
Parti pris 29 octobre 2025

Alerte rouge sur le front républicain

Nouvel indicateur de la victoire de la dédiabolisation de l’extrême droite, l’effritement significatif du front républicain. Plus qu’une photographie du moment, un sondage que Politis publie ce 29 octobre doit sonner l’alerte, notamment à gauche dont une partie des sympathisants décroche du réflexe dit « républicain ».
Par Pierre Jacquemain
Budget : le pari perdu d’avance d’Olivier Faure
Parti pris 16 octobre 2025

Budget : le pari perdu d’avance d’Olivier Faure

Alors qu’Olivier Faure, le patron des socialistes, promet de « grandes victoires » à venir dans le cadre du débat budgétaire, les contraintes parlementaires et l’équilibre des forces en présence au Parlement garantissent, ni plus moins, l’échec de la promesse socialiste.
Par Pierre Jacquemain
Lecornu : au PS, chronique d’une trahison permanente
Parti pris 14 octobre 2025

Lecornu : au PS, chronique d’une trahison permanente

Le PS s’apprête à ne pas voter la censure contre le gouvernement Lecornu. Une décision au nom de la « responsabilité » qui ravive pourtant un vieux soupçon : celui d’un parti incapable de choisir entre rupture et accommodement. À trop vouloir durer, le socialisme français risque surtout de s’effacer.
Par Pierre Jacquemain