Protéger les enfants de la prédation des adultes

Il n’existe pas d’âge minimal en deçà duquel un mineur ne peut consentir à des actes sexuels. La loi dite « Schiappa » de 2018 n’apporte pas de réelle amélioration sur ce point. Les récentes annonces du ministre de la Justice vont-elles permettre de revoir le code pénal ?

Nolwenn Weiler (Basta!)  • 10 février 2021 abonné·es
Protéger les enfants de la prédation des adultes
Dans La Princesse sans bouche, l’inceste est suggéré par l’image et dit avec pudeur par le texte.
© La princesse sans bouche.(c) textes de Florence Dutruc-Rosset. Illustrations Julie Rouvière

Pressé par l’intensité du mouvement #Metooinceste, le gouvernement a annoncé le 9 février par la voix de son ministre de la justice Éric Dupont-Moretti qu’il allait changer la loi afin de mieux punir les violences sexuelles sur les mineurs. Tiendra-t-il ses promesses ? En novembre 2017, fraîchement élu président de la République, Emmanuel Macron s’était engagé à instaurer un « seuil d’âge » à 15 ans, en deçà duquel le consentement d’un mineur à des actes sexuels ne pourrait être invoqué. Suite à un avis du conseil d’État affirmant que l’instauration de ce seuil d’âge portait atteinte au principe de la présomption d’innocence, Emmanuel Macron était revenu sur ses promesses.

Dans le code pénal français, c’est le mode opératoire de l’agresseur qui définit les contours du viol, non ce qu’en dit la victime. Le texte désigne ainsi « tout acte de pénétration sexuelle […] commis par violence, contrainte, menace ou surprise ». Charge à la victime de démontrer qu’elle n’était pas consentante. Y compris si elle est mineure. Y compris en cas d’inceste (qui représente l’écrasante majorité des viols et agressions sexuelles commis sur les mineur·es). Les magistrats peuvent bien sûr considérer que l’autorité, la dépendance matérielle et affective ou la différence d’âge sont des moyens de contraindre un enfant (et de fait beaucoup d’entre eux le font). Mais ils peuvent aussi en douter, même si les victimes sont âgées de 6 ou 7 ans (1).

Compte tenu de cette difficulté à prouver la contrainte, beaucoup des pénétrations commises sur les enfants se retrouvent déqualifiées en délit d’atteinte sexuelle, pour lequel on n’a pas besoin de démontrer l’absence de consentement et qui entraîne des peines plus légères (2). Une grande partie des viols sur des mineur·es se retrouvent jugés en tribunal correctionnel, et non aux assises, où l’on s’occupe pourtant des crimes les plus graves.

La loi du 3 août 2018 dite « loi Schiappa » a tâché de remédier à ce problème en précisant la définition de la contrainte, qui peut désormais découler « d’une différence significative d’âge » ou encore « de l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ». « C’est un premier pas, estime Michelle Dayan, avocate et membre de Lawyers for Women (3). Mais ce n’est pas suffisant. L’absence de discernement n’est pas caractérisée par le seul âge de la victime. Cela reste à l’appréciation des juges. » Et cette marge d’appréciation laissée aux juges, et donc à l’ensemble de la société, doit être supprimée, considèrent les personnes qui défendent les victimes d’inceste. « Il faut une définition qui exclue toute discussion sur le consentement en deçà de 15 ans, avec une spécificité sur l’inceste, qui se situerait alors en deçà de 18 ans », explique Marie-Pierre Colombel, présidente de l’association Enfance et partage (4). « L’interdit légal doit être très clair, ajoute Catherine Le Magueresse, juriste et docteure en droit (5). Un adulte ne peut JAMAIS avoir de relation sexuelle avec un mineur. Point. Les enfants doivent être protégés de la prédation des adultes. Il faut que la loi protège vraiment les enfants de la prédation des adultes. » Certains pays, comme la Belgique, le Royaume-Uni, le Canada ou encore la Tunisie, ont d’ores et déjà fait ce choix. Si cette option était retenue par la France, des précisions pourraient être apportées pour protéger la sexualité des mineur·es, sachant que le risque de voir de vraies idylles poursuivies par les tribunaux est minime. Alors que l’impunité des violeurs d’enfants est massive. « La loi a des vertus pédagogiques, souligne Michelle Dayan. S’il y a un seuil d’âge, ceux qui essaient de se convaincre qu’un·e enfant de 11 ou 13 ans est consentant·e se raconteront peut-être moins d’histoires… »

Autre changement proposé par le ministre de la justice le 9 février : l’instauration d’une prescription glissante, évoquée par la députée LREM Alexandra Louis, dans son rapport d’évaluation de la loi du 3 août 2018. « Un même auteur commet cinq faits. Quatre de ces faits sont prescrits, mais il y a cinq victimes, dont quatre qui seront considérées comme témoin. Je souhaite qu’elles aient un statut de victime. Donc, plus de prescription pour ces quatre faits, à l’origine prescrits », a détaillé Éric Dupont-Moretti. Le délai de prescription, de trente ans aujourd’hui, ne commencerait qu’à partir des faits commis sur la dernière victime. « C’est très intéressant, pense Catherine Le Magueresse, car on sait que les agresseurs sexuels sont des réitérants. Ils font généralement plusieurs victimes. »

Pour le moment, c’est la loi Schiappa du 3 août 2018 qui prévaut ; elle a fait passer à trente ans le délai de prescription de toutes les infractions sexuelles sur les mineur·es (avant, il était de dix ans pour les atteintes sexuelles et de vingt ans pour les viols et agressions sexuelles). Les victimes peuvent donc porter plainte jusqu’à leurs 48 ans. « Pour les viols, on a gagné dix ans, ce n’est pas rien, reconnaît Emmanuelle Piet, médecin et présidente du Collectif féministe contre le viol. Mais ce n’est pas suffisant. » Michelle Dayan partage ce point de vue : « Ce que je constate avec les femmes que j’accompagne, c’est qu’il faut souvent attendre d’avoir 50 ans pour réaliser ce qui est arrivé, le temps d’avoir construit une vie après le psychotrauma. » Pour l’avocate, un délai de quarante ans serait plus pertinent. Plusieurs associations de victimes réclament l’imprescriptibilité de l’inceste, mais celle-ci « est réservée aux crimes contre l’humanité », répond le législateur. « Alors, ils n’ont qu’à nous mettre soixante ans de prescription », conclut Emmanuelle Piet.


(1) À la suite d’un arrêt de la cour de Cassation de 2005, on considère qu’en deçà de 5 ans un enfant ne peut consentir.

(2) Un délit d’atteinte sexuelle est passible de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Un viol de 15 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

(3) Association internationale de juristes pour la lutte contre les violences faites aux femmes.

(4) Intervention au colloque du 29 janvier 2021 consacré à la loi Schiappa.

(5) Auteure d’une thèse intitulée « Les femmes victimes de violences sexuelles masculines confrontées au droit pénal de fond »