Annuler la dette Covid : une double erreur

Les charges de la dette décroissent parce que les taux d’intérêt sont nuls, voire négatifs.

Liêm Hoang-Ngoc  • 3 mars 2021
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Annuler la dette Covid : une double erreur
Chrisitne Lagarde, directrice générale de la Banque centrale européenne.
© Olivier Matthys / POOL / AFP

Dans une tribune publiée dans un journal du soir, des économistes et des élus européens viennent de proposer, avec Thomas Piketty, d’annuler une partie de la dette publique détenue par la Banque centrale européenne (BCE). Cette proposition suscite à première vue l’empathie. L’annulation de la dette se justifie en effet lorsque les charges de la dette font « boule de neige » et engloutissent la quasi-intégralité du budget d’un État contraint à l’austérité pour rembourser ses créanciers. Cela se produit ainsi lorsque les taux d’intérêt sont nettement supérieurs au taux de croissance de l’économie. Souvenons-nous que la Grèce a été confrontée à ce problème. Sa dette aurait dû être restructurée dès 2010. Elle le fut en 2012, trop peu et trop tard. Mais la France de 2021 n’entre pas dans ce cas de figure, et demander l’annulation de la dette serait une double erreur, économique et politique.

L’annulation de la dette n’a d’intérêt que si elle permet de réduire les charges que la loi de finances doit consacrer annuellement à son remboursement. Or les charges de la dette décroissent parce que les taux d’intérêt sont nuls, voire négatifs, grâce à la réputation de la France et à l’action de la BCE. Alors que le ratio de dette publique (endettement/PIB) était en 2010 de 82 %, il fallait alors consacrer 50 milliards d’euros au service de la dette. Ces charges ne représentent plus que 30 milliards, alors que le taux d’endettement est monté à 120 %. Ce contexte de bas taux est d’autant plus durable que la BCE a annoncé le maintien de ses programmes de rachat de titres sur le marché secondaire, tant que l’économie n’aura pas recouvré son rythme de croisière. Ces programmes permettent aux États d’émettre à bas taux sur le marché primaire, où l’épargne se porte en abondance sur des titres publics que leurs acquéreurs, en quête d’actifs liquides, peuvent revendre à souhait à la BCE. L’annulation de la dette est d’autant plus un non-sujet que l’horizon illimité de l’État lui permet de faire « rouler sa dette » et désormais de la transformer en dette perpétuelle à bas taux. De surcroît, notre dette est de facto monétisée, puisque les titres rachetés par la BCE sont détenus par la Banque de France, qui en reverse les intérêts et échéances à l’État.

Malgré la montée de l’endettement public, l’heure est donc à la mobilisation de l’abondante épargne, disponible à bas coût, afin de doubler les ressources consacrées à la transition écologique et sociale, au lieu de se contenter de maintenir « l’offre » à flot en attendant le rebond de la demande. Le temps est venu de remettre en cause définitivement le pacte de stabilité et de croissance. Tel est le débat que devraient lancer des impétrants au trône républicain. Mais qu’ils y prennent garde : l’annulation de la dette minerait de fait leur réputation, exercerait une pression à la hausse sur les taux d’intérêt et les charges de la dette, réduisant les ressources disponibles pour la relance ! Enfin, sous-entendre que la dette est un problème apporte de l’eau au moulin des tenants de l’austérité, qui ont d’ores et déjà obtenu du Premier ministre la création d’une commission chargée de réfléchir à la fin du « quoi qu’il en coûte »…

Liêm Hoang-Ngoc Maître de conférences à l’université de Paris-I.

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