Denis Gravouil : « Il ne suffira pas de rouvrir les salles ! »

Sans des aides à la hauteur, le monde de la culture va à la catastrophe, s’alarme le syndicaliste Denis Gravouil.

Patrick Piro  • 24 mars 2021 abonné·es
Denis Gravouil : « Il ne suffira pas de rouvrir les salles ! »
Happening intitulé « la plus longue file d’attente au monde devant Pôle emploi », sur les marches du théâtre Graslin.
© Patrick Piro

Sa réunion avec Roselyne Bachelot, lundi 22 mars, a été annulée : la ministre de la Culture est malade du Covid-19. Elle aurait sans nul doute été conflictuelle, indique le syndicaliste Denis Gravouil, qui considère les aides annoncées le 11 mars comme dérisoires face au péril massif qui guette le monde de la culture.

Une rallonge de 30 millions d’euros pour la culture, c’est quand même une petite victoire ?

Denis Gravouil : Soit 20 millions d’euros pour l’emploi des équipes artistiques et 10 millions d’euros pour les jeunes qui n’ont rien ? Une aumône ! Ça va plutôt alimenter la mobilisation que la calmer. Ce sont des miettes, il faudrait vingt fois plus.

Une réouverture rapide des lieux de culture permettrait-elle de sauver les meubles ?

Nous souhaitons bien sûr pouvoir travailler à nouveau au plus vite, exercer notre art et retrouver le public, qui nous attend. Mais, dans l’état actuel du secteur, après près d’une année d’arrêt, moins d’un tiers des personnes retrouveraient du travail au redémarrage, en raison de jauges réduites, du report de l’autorisation des concerts debout, de la réduction du format des festivals, etc. Au cinéma, un stock de 200 films attendent leur diffusion. Embouteillage en prévision, avec des réductions d’emploi. Alors le vrai sujet dépasse largement la réouverture des portes, il faut un véritable plan de reprise, avec des aides massives pour les résidences de création et l’emploi.

Les structures culturelles ont pourtant reçu des aides, rétorque le gouvernement…

Elles ont permis de maintenir les chiffres d’affaires, de compenser des jauges limitées, mais elles n’ont pas servi à préserver l’emploi puisque les personnes en intermittence ne sont pas couvertes par les mesures d’activité partielle. À 90 %, elles n’ont pas reçu de compensation pour leur perte d’activité, quand elles n’ont parfois pas pu travailler de toute l’année 2020. Dans notre secteur, la perte moyenne de masse salariale s’élève à 24 % par rapport à 2019. C’est même près de 50 % pour le spectacle vivant, voire 60 % pour les grands événements. Des gens n’ont pour seul soutien que l’« année blanche » qui a reconduit leurs droits sociaux. Cette mesure pourrait être partiellement -prolongée après août prochain, mais qu’en sera-t-il à terme ? Alors nous nous battons pour obtenir la compensation intégrale de nos droits sociaux – prise en charge de la maladie, de la maternité, et assurance-chômage bien sûr.

Mais on voit déjà de profondes détresses individuelles : des artistes de 50 ans retournent habiter chez leurs parents faute de pouvoir vivre de leurs revenus… On risque d’assister à une vague de désertion de talents et de compétences. Un gâchis. Nous n’avons les moyens ni de travailler ni de vivre décemment. La parole donnée du « quoi qu’il en coûte, personne n’y perdra » n’a pas été respectée, c’est insupportable.

Que vous répond le gouvernement ?

Circulez, il n’y a rien à voir ! Mais, en plus, il s’attaque aux précaires : alors que le chômage va augmenter, ce sont les droits de 800 000 personnes qui vont diminuer à partir du 1er juillet avec l’entrée en vigueur de la réforme de -l’assurance-chômage. Dans notre milieu, cela va notamment toucher les personnels d’accueil, de sécurité, de restauration… Un vrai passage en force, bien qu’une rare cohésion syndicale s’oppose à cette réforme.

Le mouvement d’occupation des lieux de spectacle semble très déterminé…

Il s’amplifie même. Dès vendredi, la CGT Spectacle va lancer des manifestations pour réclamer l’annulation de la réforme de -l’assurance-chômage, une année blanche pour toutes et tous, ainsi qu’un plan de reprise pour l’emploi et les droits sociaux. Et cette mobilisation dépasse nos revendications professionnelles et sociales : elle a de plus en plus l’allure d’un mouvement social. Elle agrège des personnes concernées par la réforme de l’assurance-chômage en particulier, et qui en ont ras le bol d’être réduites à des relations marchandes – travailler, rentrer chez soi seul·e, consommer, et surtout pas de sortie, de cinéma, etc. C’est intenable.

Même sans prétendre être aussi essentielle que l’hôpital pour sauver des vies, la culture est indispensable pour la santé mentale, la démocratie, la joie. Pourtant, le gouvernement la sabote et entretient la précarité. C’est même contraire à ce qu’il faudrait pour lutter contre le Covid.

Denis Gravouil Secrétaire général de la CGT Spectacle.

Société Santé
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