Pandémies : L’inaction organisée

L’origine des zoonoses, de l’avis d’experts qui alertent depuis longtemps déjà, est plus à rechercher du côté des activités humaines que d’un animal en particulier.

Vanina Delmas  • 10 mars 2021 abonné·es
Pandémies : L’inaction organisée
© Sylvain Cordier/Biosphoto/AFP

Plus d’un an après l’émergence de la pandémie de Covid-19, une équipe d’experts chinois et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a enquêté sur ses origines en se rendant à Wuhan, en Chine. Un mois plus tard, ils décident finalement de ne pas rendre publiques leurs conclusions provisoires et renvoient ultérieurement à leur rapport complet. Dans la foulée, un collectif d’une trentaine de personnalités appelle à la conduite d’une investigation complète et indépendante. Les premiers résultats n’étaient pas concluants, notamment sur l’épineux sujet de l’animal vecteur du virus et intermédiaire entre la chauve-souris et l’homme. Pangolin ? Vison ? Blaireau ? Rat des bambous ? Lapin ? Un mystère qui pourrait prendre plusieurs années avant de trouver sa résolution.

Au-delà de la psychose épidémiologique poussant à chercher la culpabilité d’un animal, c’est bien le système global conduisant à ces zoonoses – maladies ou infections se transmettant des animaux vertébrés à l’homme – qui doit être scruté et questionné. « Trouver l’origine est important pour décortiquer les mécanismes d’émergence, pour comprendre comment les zoonoses sortent de leurs réservoirs. Mais pointer tel animal comme responsable n’est pas vraiment pertinent car ces virus font partie de la biodiversité, explique Gwenaël Vourc’h (1), directrice adjointe de l’unité mixte de recherche “Épidémiologie des maladies animales et zoonotiques” à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Ce sont les activités humaines qui créent des situations impactant l’écologie de ces animaux, par l’occupation des terres, la destruction de leurs habitats par exemple, et qui favorisent l’émergence et les opportunités de transmission des virus à l’humain. »

S’intéresser en priorité aux causes d’émergence peine encore à faire son chemin dans les politiques publiques répondant aux crises sanitaires, car cela impliquerait de reconnaître la responsabilité humaine et de remettre en cause le système économique et social reposant sur la mondialisation. Un « aveuglement collectif », « une politique de l’autruche » et un « fonctionnement en silo des disciplines scientifiques et des instances ministérielles » qui ne sont plus acceptables à l’heure de l’anthropocène, pour Marie-Monique Robin. Dans son livre La Fabrique des pandémies (2), la journaliste interroge 62 scientifiques du monde entier sur la situation actuelle : tous sont convaincus que d’autres pandémies arriveront si on ne mise pas sur la prévention. Et quasiment tous oscillent entre lassitude, désillusion, dépit et inquiétudes profondes, car la plupart alertent depuis des décennies sur ce qui est en train d’arriver.

En 1989, déjà, la conférence de Washington sur les maladies et virus émergents mentionnait les causes anthropiques. « Les scientifiques alertent sur cette question depuis bien avant l’établissement de la convention sur la diversité biologique, qui date du sommet de la Terre de Rio de 1992. La recherche sur ce lien entre pandémies et biodiversité fait l’objet de publications depuis une vingtaine d’années », a confirmé sur France Culture Anne Larigauderie, écologue et secrétaire exécutive de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Ces experts internationaux ont sorti en octobre 2020 le rapport « Échapper à l’ère des pandémies », dans lequel ils affirment qu’il existe « 1,7 million de virus non découverts chez les animaux, et [que] 540 000 à 850 000 d’entre eux pourraient potentiellement infecter les humains ». Ils assurent aussi que prévenir une pandémie serait 100 fois moins coûteux que de la guérir, sachant que celle du Covid-19 a déjà coûté entre 8 000 et 16 000 milliards de dollars entre le début de l’épidémie et juillet 2020. « Notre approche actuelle des pandémies stagne et consiste encore à essayer de contenir et de contrôler les maladies après qu’elles sont apparues, par le biais de vaccins et de thérapies. Pour nous échapper de l’ère des pandémies, nous devons, en plus de la réaction, nous concentrer sur la prévention », a résumé Peter Daszak, zoologiste, président de l’ONG EcoHealth Alliance et de cet atelier de l’IPBES.

Des enjeux de santé publique au niveau mondial qui nous obligent à revoir nos modes d’action et de pensée. « On constate une volonté de considérer l’ensemble de l’écosystème, de décloisonner les approches, car les santés animale, humaine et végétale sont interdépendantes, et donc de les prendre en compte dans leur ensemble, car nous voyons bien que nous arrivons au bout d’un système. Mais l’opérationnalité du point de vue de la recherche, des financements, des formations, des outils n’est pas encore à la hauteur », déplore Gwenaël Vourc’h.

Lors du One Planet Summit consacré à la biodiversité, en janvier, l’initiative Prezode a été présentée, concoctée par trois instituts de recherche français – l’Inrae, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Fondé sur l’approche interdisciplinaire One Health (une seule santé), le programme vise à « construire des socio-écosystèmes adaptés et résilients, réduisant les risques d’émergences zoonotiques tout en renforçant la biodiversité et en luttant contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire ». Le réflexe de penser les épidémies seulement sous le prisme de la santé humaine s’érode doucement. D’ailleurs, il y a quelques semaines, le gouvernement français a nommé au conseil scientifique Covid-19 Thierry Lefrançois, vétérinaire et spécialiste des approches intégrées et des réseaux de santé au Cirad.

Le meilleur antidote aux prochaines pandémies est unanimement la prévention, en préservant la biodiversité, c’est-à-dire le respect du monde vivant dans toute sa diversité. Une ambition qui nécessite d’investir dans la recherche et des systèmes de surveillance pour mieux connaître ces virus et prévoir les points chauds d’émergence. Puis d’agir sur les causes directes, en particulier le commerce d’espèces sauvages dénué de tout contrôle vétérinaire et la déforestation pratiquée à grande échelle pour l’urbanisation ou l’installation d’élevages intensifs. L’association L214 a lancé la campagne « On subit les conséquences, mais qui agit sur les causes ? », avec une lettre ouverte à Emmanuel Macron dénonçant l’élevage intensif comme « véritable bombe sanitaire ». « Nous voulions d’abord porter la parole des scientifiques, trop souvent ignorée par les politiques ! Nous espérons que, lors des prochaines discussions de lois et réglementations, on en vienne à remettre en question l’élevage intensif et toutes ses conséquences : l’entassement des animaux, la variabilité génétique faible, la progression de -l’antibiorésistance… », détaille Brigitte Gothière, cofondatrice de L214. Trois mesures semblent indispensables : la suspension des constructions, pour garantir aux animaux l’accès au plein air ; l’accompagnement des reconversions d’agriculteurs ; une politique publique de réduction de la consommation des produits carnés afin de développer la filière végétale et de limiter les importations de soja du Brésil, qui participent à la déforestation.

On aurait pu imaginer que la paralysie économique des premiers mois de la pandémie de Covid-19 serait bénéfique aux habitats naturels. Illusion. Une récente étude parue dans le journal scientifique Perspectives in Ecology and Conservation a établi une probable corrélation entre pandémie, augmentation de la déforestation en zone tropicale et risques d’émergence de nouvelles épidémies. « En comparant avec les images satellitaires de 2019 pour la même période, on a remarqué qu’en 2020, dans le mois qui suit la mise en œuvre des mesures sanitaires, la déforestation a augmenté de 63 % en Amérique, 136 % en Afrique et 63 % en Asie-Pacifique », indique Bruno Hérault, coauteur de l’étude et spécialiste des forêts tropicales au Cirad. Une destruction de l’habitat naturel de la faune qui engendre du stress chez les animaux, lesquels deviennent plus sujets aux maladies, se rapprochent des lieux urbanisés et propagent plus facilement les zoonoses.

Pour Loïs Lelanchon, chargé du programme sauvetage des animaux au Fonds international pour la protection des animaux (Ifaw), la priorité sur le long terme est de repenser les relations avec l’animal. Sur le court terme, il faut augmenter les ressources allouées à la protection des habitats, à la lutte contre le braconnage, à la surveillance et aux contrôles sanitaires du commerce d’animaux sauvages vivants. « Il faut mettre en place des mécanismes intelligents pour réduire le commerce de faune sauvage en se basant d’abord sur les groupes d’espèces à haut risque (mammifères et oiseaux), mais en prenant en compte plusieurs critères comme l’évaluation des risques sur les espèces qui sont des réservoirs actifs de virus et le contexte national, car des communautés et des peuples dépendent de l’utilisation de la faune sauvage », analyse-t-il. Un subtil équilibre à trouver et un sujet délicat à aborder, car le commerce illégal de plantes et d’animaux est encore la quatrième activité criminelle transnationale la plus lucrative dans le monde. Pourtant, des décisions politiques commencent à émerger : le Vietnam a pris une directive interdisant immédiatement le commerce d’espèces sauvages et la Chine a ajouté 517 espèces à sa liste des principaux animaux sauvages protégés. Des espoirs de salut qui devront réellement miser sur l’intelligence collective et les coopérations internationales, car les virus ne font pas de pause et n’ont pas de frontières.


(1) Les Zoonoses. Ces maladies qui nous lient aux animaux, Gwenaël Vourc’h, François Moutou, Serge Morand, Elsa Jourdain, Éditions Quæ, 2021.

(2) La Fabrique des pandémies. Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire, Marie-Monique Robin, La Découverte, 2021.

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Pandémies : Qui est le coupable ?
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