Benoît Hamon : « L’unité ne peut pas être à moitié pleine ! »

Ancien ministre socialiste devenu frondeur, puis candidat à la dernière présidentielle en concurrence avec Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon prône l’union la plus large possible à gauche en 2022, avec La France insoumise. Et avec la société civile.

Nadia Sweeny  et  Barnabé Binctin  • 28 avril 2021 abonné·es
Benoît Hamon : « L’unité ne peut pas être à moitié pleine ! »
© PHILIPPE DESMAZES/AFP

Il est arrivé aux côtés de Julien Bayou, sa tête de liste aux prochaines élections régionales. Mais c’est bien dans un rôle de rassembleur, dans la perspective de 2022, que Benoît Hamon s’est présenté à la fameuse réunion du samedi 17 avril. Pour Politis, il décrypte les rapports de force qui s’y sont joués et trace quelques perspectives possibles sur le chemin escarpé de l’union.

Êtes-vous ressorti satisfait des discussions du 17 avril ?

Benoît Hamon : La question, c’est de savoir à quoi cette réunion servait véritablement : est-ce qu’elle visait à faire évoluer les positions de chacun en créant les conditions d’un véritable échange ? Ou est-ce qu’on se contente d’écouter et de prendre acte de l’énoncé des stratégies et des ambitions de chaque participant ? L’organisation n’était pas très claire, on l’a tous un peu découvert sur le tard et, de fait, elle ne prévoyait pas beaucoup de dialogue, chacun avait le droit à une prise de parole de quelques minutes avant une synthèse de Laurence Tubiana. Or c’est évidemment en réaction à ce que dit chacun qu’on peut commencer à fabriquer du commun. Le point positif, c’est quand même qu’on ait convenu d’une nouvelle rencontre, fin mai, pour construire des éléments d’un programme commun.

À quel titre, exactement, participiez-vous à la réunion pour l’union de la gauche ? Quel rôle vous donnez-vous dans les discussions ?

Je suis dans une situation hybride. J’ai dit oui à Julien Bayou parce qu’il faut donner un coup de pouce à la construction du pôle écologiste : sans cela, il y a une forme de statu quo des organisations, rien ne bouge. Je m’exprime sur les sujets qui m’intéressent et, aujourd’hui, je pense que l’union de la gauche est -indispensable. Je ne le dis pas comme une posture : je ne suis pas candidat à l’élection présidentielle. Mais, dans la Ve République, l’avis de ceux qui l’ont déjà été est toujours important pour l’élection qui suit. C’est pour cela que Macron avait été chercher François Bayrou en 2017, parce qu’il comprenait bien l’importance d’agréger des voix sur son nom. Ce que je dis aux uns et aux autres, c’est que, s’ils ne fabriquent pas l’unité indispensable des forces de gauche et écologistes, alors je donnerai mon avis en décembre, après avoir lu les sondages et les professions de foi. Mais ce n’est pas très sérieux.

En l’état actuel des choses, elle vous paraît possible, cette « union » ?

Je pense qu’il y a une fenêtre possible, parce que le mouvement social et les électorats réclament cette unité et parce que la situation politique l’exige absolument. Il y a une urgence sociale et une urgence climatique – et je ne parle pas du péril fasciste, dont on n’a jamais été aussi près ! Mais je suis lucide sur les chances de succès, la probabilité la plus grande pour l’heure n’est pas forcément que l’union se fasse… C’est la question que j’ai posée à tout le monde à la fin de la réunion : « On est bien d’accord que, si on veut l’unité de la gauche, le candidat peut aussi bien être Mélenchon, Hidalgo, Jadot ou Piolle, etc. ? » Personne n’a vraiment répondu. Or on ne peut pas avoir des acteurs qui ne veulent l’unité qu’à la seule condition que le résultat corresponde à leur intérêt ou à leur stratégie propre…

La France insoumise a parlé d’un « traquenard » tendu par Jadot et le PS. Vous partagez ce sentiment ?

Je vois ce qui peut être caractérisé ainsi. C’est ce qui m’a amené à dire, comme d’autres, que la conclusion de cette réunion ne pouvait pas déboucher sur un accord commun entre les Verts et le PS sans La France insoumise. L’unité ne peut pas être à moitié pleine ! Je sais de quoi je parle : on l’a déjà fait, j’ai été ce candidat-là…

Ces derniers jours, vous avez plusieurs fois défendu la participation de Mélenchon à ces discussions, en appelant à de « bonnes manières » à son égard. Qu’entendez-vous par là, exactement ?

Mélenchon a fait 19 % à la dernière élection présidentielle, et aujourd’hui il est autour de 10 % dans les sondages : c’est un acteur clé à gauche et il doit être respecté en tant que tel. On ne peut pas le traiter comme quelqu’un qui doit avoir l’amabilité de se mettre en bout de table et de se taire, ce n’est pas possible. Je ne suis ni l’avocat ni l’ambassadeur de Mélenchon mais, si on veut que ça marche, il faut se mettre dans les bonnes conditions pour réussir. Je ne crois pas que la priorité de la gauche au premier tour soit de formuler une offre destinée à séduire les électeurs centristes déçus de Macron. Ce n’est opérant ni politiquement ni électoralement, ce n’est pas ce que réclament les électeurs de gauche. Il n’y a qu’en associant le peuple de gauche jusqu’à LFI qu’on parviendra – excusez-moi du terme – à avoir un candidat « compétitif » ! Pour l’heure, il n’y a que des candidats à l’élimination au premier tour… Donc il faut unir les forces qui se réclament de l’histoire de la gauche dans un projet qui réunit nos valeurs sur le plan de l’émancipation, de l’égalité et des libertés.

Vous regrettez aujourd’hui que l’alliance avec Mélenchon en 2017 n’ait pas eu lieu ?

Je le lui ai proposé après les primaires, mais il ne le voulait pas. Je ne peux plus regretter, même si une partie de LFI entretient cette légende selon laquelle on aurait gagné si… C’est une légende qu’entretiennent surtout les rageurs. Et je ne veux pas faire de la politique en fonction de ce que la frange la plus radicalisée de nos militants pense ; elle est forcément la moins lucide.

Les sondages actuels confirment une tendance déjà observée lors des derniers grands scrutins nationaux, en 2017 ou en 2019, lors desquels les résultats des forces de gauche ne représentent plus, en cumulé, que le quart des suffrages exprimés… Comment expliquez-vous un tel recul de ces idées dans les urnes ?

Il faut déjà redéfinir ce qu’on entend par « la gauche », particulièrement mise à mal par le quinquennat de François Hollande. On a longtemps vécu sur des illusions et des impostures qu’a finalement dévoilées Emmanuel Macron, en montrant que la démarcation droite-gauche ne se situait pas entre le PS et Les Républicains, mais au cœur même du PS ! Sur des questions économiques, sociales, éducatives comme de sécurité, certains ont complètement basculé sur un répertoire de valeurs et de réponses appartenant à la tradition libérale conservatrice. Ce qui n’empêche pas des Valls ou Le Drian de vous expliquer que la vraie gauche, c’est eux… Il faut s’arracher à cette confusion, sinon il est logique que l’électorat lui-même soit confus !

Le problème, c’est que nous n’existons plus qu’à travers la caricature qui est faite de nous, nous nous définissons désormais par rapport aux stigmates qui sont posés par nos adversaires – et ce, dans une belle unanimité ! Le débat sur l’islamo-gauchisme est symptomatique de cela : le Printemps républicain, Valls, Blanquer, Schiappa, Praud, Zemmour, tout le monde dit la même chose et caractérise la gauche comme le camp qui incarnerait la menace numéro 1 pour la République. On dirait les républicains d’Adolphe Thiers, ceux qui répriment la Commune au nom de la République ! Aujourd’hui, l’ensemble du débat politique se fonde sur les peurs, le rejet, les passions négatives. Pendant ma campagne, j’avais parlé de « futurs désirables », et je vois aujourd’hui que Mélenchon insiste pour dire qu’il faut « voter pour ». Nous avons besoin d’un grand récit émancipateur. Ma conviction est que la VIe République, le revenu universel ou la transformation écologique sont autant de pièces éparpillées de ce récit que notre unité pourrait agréger enfin.

Quels sont les thèmes que la gauche doit aujourd’hui porter dans le débat public ?

Entrons dans le débat par les besoins d’égalité, de protection, d’émancipation. Cela a toujours été l’enjeu essentiel pour la gauche : réunir les classes populaires sur une aspiration de justice sociale plutôt que sur le ressentiment ou l’envie de faire mal, qui irait chercher l’origine de nos maux dans une différence de couleur de peau, de religion, ou autre. Il y a aujourd’hui une analyse que l’on fait toutes et tous, c’est le développement de toutes les inégalités – les inégalités sociales, de genre, d’accès à l’éducation, etc. Donc reprenons les choses à l’endroit et repartons de ce constat commun pour proposer nos solutions : progressivité de l’impôt, grand projet éducatif tout au long de la vie, partage du temps de travail ou revenu universel, par exemple.

Avec les inégalités, on aborde tout, de l’écologie à l’éducation. C’est ce qui nous permet le mieux de nous projeter et de proposer un vrai projet politique pour réparer le pays, fidèle à nos principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Cela permet d’interroger nos systèmes de protection sociale et de redistribution des richesses, comme notre système éducatif, qui ne déjouent plus le caractère immuable de la hiérarchie sociale ni ne corrigent efficacement les inégalités sociales et la prédation écologique du système capitaliste. Ce sont des choses qui peuvent parler à des millions de Français, notamment dans les classes populaires, pour replacer la question sociale devant la question identitaire. Mais tout cela suppose aussi de se remettre à travailler sur le fond…

Ce n’est pas le cas aujourd’hui ?

Une partie de la gauche a externalisé depuis longtemps sa pensée et sa réflexion à des think tanks. Elle ne fabrique plus elle-même les programmes sur lesquels elle va faire campagne, mais va s’équiper dans des grands magasins comme Terra Nova, la Fondation Jean–Jaurès ou même l’Institut Montaigne. Dans les rayons, vous avez là une réforme de l’éducation, ici une réforme de l’État ou de la Sécurité sociale… et, comme dans tous les grands magasins, il y a des grandes marques inamovibles, autrement dit on peut retrouver parfois exactement le même type de réformes, toutes fondées sur les mêmes sondages d’opinion distribués à tout le monde et qui vous disent « ce que veut le peuple ». Ainsi, depuis vingt ans, en partant du même diagnostic proposé par les instituts de sondage et se « fournissant » dans les mêmes magasins de la pensée politique, les programmes de gauche et de droite ont fini par beaucoup se ressembler.

Concrètement, sur quel genre de dossier faudrait-il travailler en priorité, selon vous ?

Aujourd’hui, on est très faibles sur la question de l’éducation, par exemple. Où est le projet éducatif de la gauche ? Chez les écolos, il n’existe pas beaucoup. Ils se sont intéressés à la transition écologique, mais pas assez au projet éducatif qui doit aller avec. Celui de LFI n’est pas d’une grande originalité non plus. Il faut imaginer un nouveau contrat entre l’école et la nation : comment est-ce qu’on fabrique de l’émancipation à l’heure de la concurrence permanente de la culture numérique dans nos vies ? Cela fait des mois que je dis qu’un des gros sujets, c’est la question, pour les enfants, de l’impact du temps passé devant les écrans. C’est une question éminemment politique, tant en termes d’éducation que de santé publique. Les conséquences sont abondamment documentées : baisse de QI, troubles de l’attention, altération des aptitudes psychosensorielles…

Le problème n’est-il pas non plus l’absence de la société civile dans ces débats ? La réunion se tenait à huis clos, uniquement entre responsables politiques…

Si on veut que ça marche, le débat doit être rendu public – je rejoins en ce sens la proposition d’Adrien Quatennens –, il n’y a rien qui doive nous gêner. On doit placer ces discussions sous le regard de l’opinion, à travers les médias et la société civile organisée. Le mouvement social regorge d’initiatives qui appellent à un candidat unique de la gauche, comme les plateformes du type « 2022 ou jamais » ou le « Pacte du pouvoir de vivre ».

On a besoin d’intermédiaires, de gens qui nous aident à progresser ensemble, sans quoi ces face-à-face entre politiques seront stériles. Ces tiers de confiance pourraient piloter les travaux sur le fond, ce qui serait une manière de pousser les acteurs politiques à ne pas avoir un agenda officiel, celui de l’unité de la gauche, et, derrière, un agenda caché, celui de poursuivre quoi qu’il en coûte une stratégie solitaire.

C’est le dessein que se fixe aujourd’hui l’initiative « 2022 ou jamais ». Qu’en -pensez-vous ?

Je les connais depuis peu, mais je trouve que c’est la meilleure formule pour la suite. On a là des gens qui viennent de traditions et d’histoires syndicales, associatives ou militantes différentes mais qui disent tous la même chose : il faut un seul candidat, on va fabriquer le programme commun et on fera la sélection des candidats. Il faut qu’avec leurs idées ils s’intercalent dans un processus politique qu’ils vont permettre d’éclairer, peut-être de fluidifier. On a besoin d’eux et ils ont besoin de nous – puisque le but, c’est qu’il y ait bien un candidat unique. Si on veut réussir l’unité, il faut que le mouvement social et la société civile organisée nous accompagnent. Ils ne doivent pas être là pour être des animateurs, mais bien des partenaires du processus pour déjouer les stratégies des acteurs politiques, car si c’est pour remettre vingt personnes dans vingt couloirs de nage… moi, je préfère la natation synchronisée.

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