La gauche en rang d’union… et des têtes qui dépassent

Premier pas symbolique, la réunion du 17 avril a vite révélé tous les facteurs de blocage. Et d’autant mieux rappelé l’urgence d’associer la société civile.

Nadia Sweeny  et  Barnabé Binctin  • 28 avril 2021 abonné·es
La gauche en rang d’union… et des têtes qui dépassent
© Thomas SAMSON / POOL / AFP

Le lieu se voulait «tout ce qu’il y a de plus neutre», selon l’équipe de Yannick Jadot. Devant le hall impersonnel de l’hôtel parisien, -l’eurodéputé Europe Écologie-Les Verts était tout content d’accueillir un à un, devant caméras et micros, la vingtaine de participants ayant répondu à son invitation, samedi 17 avril. L’emplacement, sur ce canal de l’Ourcq apprécié des joggeurs du week-end, aura permis d’afficher l’image ensoleillée d’un premier rassemblement de la gauche et des écologistes, sur le chemin de 2022.

Et c’était bien là l’un des principaux objectifs de cette réunion : « Pour envisager une candidature d’union, il faut bien montrer à un moment qu’on arrive à se parler », déclarait ainsi Emmanuel Maurel, à l’issue des trois heures de palabre. À l’instar de son parti, la Gauche républicaine et socialiste, la plupart des sensibilités de gauche et écologistes étaient ainsi représentées, du Parti radical de gauche au Parti communiste. Y compris d’ex-macronistes déçus, tel Matthieu Orphelin, qui se montrait toujours optimiste, une semaine plus tard, au téléphone : « Cette réunion était vraiment bien, avec de la qualité dans les prises de parole et de la bienveillance dans l’écoute. Yannick a réussi un truc qu’il ne faut pas mésestimer. »

Pourtant, entre-temps, cet engouement de façade s’est vite fissuré. Il n’a même duré que le temps des flashs, à la sortie du conclave. Interrogé en duplex depuis les lieux du rendez-vous, Olivier Faure, le patron des socialistes, livrait à chaud sa version des faits : « Oui, dans un an, il y aura pour les écologistes, les socialistes, pour les radicaux, pour Place publique, pour Nouvelle Donne, pour Génération·s un candidat et un projet communs. C’est l’engagement que chacun a pris, ce matin, dans cette réunion. » Une interprétation aussitôt démentie par Julien Bayou, le secrétaire national d’EELV, sur -Twitter : « Heureux de l’enthousiasme d’Olivier Faure. Réunion constructive. Mais prématuré de parler d’une candidature commune, ce n’est pas ce qui a été discuté. La primaire de l’écologie est une étape indépassable pour proposer une large coalition. » Depuis, cet emballement socialiste a été largement confirmé par d’autres participants : «C’est en total décalage avec ce qui s’est dit, tout le monde le sait, témoigne l’un d’entre eux. Olivier Faure cherche à précipiter les choses face à ses propres contraintes en interne. » Car qui dit présidentielle dit aussi législatives, et les socialistes savent que pour eux, plus que jamais, les places seront chères.

Raison pour laquelle Éric Coquerel s’est refusé à participer à la fameuse « photo de famille » : « On a bien compris qu’il s’est joué une sorte d’accord entre Faure et Jadot pour accélérer le rythme d’une candidature commune… sans LFI. Mais ça ne peut pas se passer comme ça : beaucoup refusent de se retrouver en tête à tête avec le PS avec le risque d’un retour à une forme de hollandisme », confie, a posteriori, le député, seul représentant de La France insoumise, en l’absence de Jean-Luc Mélenchon. D’autres manquaient également à l’appel : Fabien Roussel, candidat déclaré du PCF, Arnaud Montebourg et Delphine Batho avaient, eux, décliné l’invitation, tandis qu’Éric Piolle, le maire EELV de Grenoble, quittait en premier le conciliabule, bien avant le reste de ses camarades, officiellement pour des raisons d’agenda.

Depuis plusieurs mois, des initiatives travaillent pour alimenter une candidature commune.

De fait, la composition de l’assemblée n’avait rien, elle, de tout à fait neutre ni d’impartial, avec un contingent socialiste fort du plus grand nombre d’émissaires (cinq) autour de la table. Également de la partie, Sandrine Rousseau, candidate à la primaire d’EELV en septembre, s’interroge aussi sur les intentions de Yannick Jadot, son futur adversaire devant les militants écologistes : « Donner un gage qu’on peut discuter, c’est bien, mais pourquoi maintenant ? Peut-être parce qu’il y a une forme de fébrilité. Ou peut-être aussi parce qu’il y a une volonté de faire de la politique comme on en a toujours fait, en se partageant les circonscriptions sur un coin de table. » Une entreprise qui risque, de toute façon, d’avorter rapidement devant les divergences de stratégies et d’agenda qui se font jour : quand le Parti socialiste, lui-même divisé en interne, met le pied sur l’accélérateur, LFI répète qu’elle est déjà en campagne et exige une « clarification de la ligne ». Au milieu, EELV n’a jamais été aussi persuadé que son heure était venue, et s’arc-boute sur le passage obligé de sa primaire – celle-là même que Yannick Jadot, le favori des médias mais pas pour l’heure des militants, cherche justement à contourner…

« Il y a trois chapelles, résume Aurélien Taché, député ex-LREM. Ceux, comme La France insoumise, qui veulent discuter uniquement de projets ; ceux, comme EELV et le PCF, qui veulent une coalition de gouvernement et des accords pour les législatives ; et ceux, comme le PS, qui veulent tout de suite une candidature commune. » Alors, l’union de la gauche, un espoir évanoui aussi vite qu’il a tenté de s’afficher ? Face à ces divergences qui mènent à l’impasse, les appels à la société civile se sont multipliés à la suite de cette réunion. « La politique est trop importante pour la laisser aux seuls politiques. Les citoyens doivent s’en emparer », alertait ainsi Éric Piolle depuis son train du retour.

La solution peut-elle venir du mouvement social et d’organisations extérieures aux partis ? Depuis plusieurs mois, différentes initiatives travaillent de concert à élaborer des propositions qui pourraient alimenter une candidature de rassemblement. C’est le cas de la coalition « Plus jamais ça », structurée autour d’Attac, de la CGT et de Greenpeace, et regroupant plusieurs organisations syndicales et associatives. Ou encore du « Pacte du pouvoir de vivre », autour de la Fondation Nicolas-Hulot et de la CFDT, qui continue de défendre ses 66 propositions pour « répondre à l’urgence sociale et écologique ».

Mais c’est une autre plateforme, « 2022 ou jamais », qui concentre toutes les attentions, après avoir été citée à de nombreuses reprises le 17 avril. Depuis bientôt deux mois, l’ensemble des partis de gauche s’y retrouvent pour discuter du fond autour de quelques mesures fortes. Preuve que les divergences de stratégies n’empêchent pas (encore) quelques convergences de points de vue. Côté agenda, une réunion doit succéder, fin mai, à la première. Reste à voir sous l’égide de qui. Mais la plupart des observateurs avisés, tel Guillaume Duval, journaliste et directeur du Festival des idées, en conviennent volontiers : « Le succès, ou non, de cette dynamique ne peut plus dépendre uniquement de rencontres entre chefs, mais bien de la capacité, ou non, à lancer une pression citoyenne forte. »

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