Premières réponses à la haine en ligne anti-asiatique

Le racisme anti-asiatique explose en Occident, en témoignent les récentes attaques d’Atlanta (USA). À Paris, le 24 mars, cinq jeunes étaient jugés pour des tweets appelant à la haine envers « les Chinois ». Ces faits suscitent une réflexion sur les pistes en matière de lutte contre le racisme en ligne et, plus généralement, contre toute forme de discrimination.

Lauriane Roger-Li  • 6 avril 2021
Partager :
Premières réponses à la haine en ligne anti-asiatique
Photo : Le collectif des associations chinoises du 93 se mobilise contre le racisme le 24 mars 2021, près du tribunal judiciaire de Paris. Sur la banderole rouge, on peut lire ces deux phrases : « Braver vents et tempêtes dans un même bateau » et « Donner sans attendre en retour ». (©Lauriane Roger-Li)

J’ appelle tout (sic) mes renois et tout (re-sic) mes rebeus du 91, 92, 93, 94, 95 à agresser chaque chinois qu’ils croiseront dans la rue. » Ce tweet fait partie des messages de haine diffusés par différents comptes Twitter, le soir de l’annonce du deuxième confinement, fin octobre. Les associations antiracistes ont tout de suite réagi et le parquet de Paris a ouvert une enquête dans la foulée. Suite à ce déchaînement de haine en ligne, des Asiatiques de France ont été violentés.

Le procès de cinq jeunes « twittos » s’est tenu le 24 mars au tribunal judiciaire de Paris, soit cinq mois après les faits, signe de l’émotion suscitée par cette flambée raciste. Le parquet préconise que les prévenus effectuent un stage de citoyenneté mais la décision de justice ne sera connue que le 26 mai.

Les différents confinements ont renforcé l’utilisation des réseaux sociaux par l’ensemble de la population, les jeunes étant les plus vulnérables face aux contenus malveillants et aux « fake news ». Différents acteurs se mobilisent contre le racisme en ligne et, plus largement, contre le cyberharcèlement. Les pouvoirs publics et les associations testent des réponses aux attaques racistes proférées aussi bien sur la toile que dans la rue.

Militer et éduquer

« Il faut arrêter de croire que s’attaquer à nous c’est facile », lance Sun-Lay Tan, porte-parole du collectif Sécurité pour tous, lors du rassemblement organisé par plusieurs associations asiatiques avant le procès des tweets antichinois. Le message se veut inclusif. « Si nous sommes là aujourd’hui c’est pour défendre toutes les minorités », ajoute le militant. « Stop à la haine ! », crient les manifestants regroupés devant les caméras. Les membres de l’Association des jeunes Chinois de France (AJCF) se mêlent au collectif des associations chinoises du 93, composé de personnes de la génération de leurs parents, primo-arrivants. La sociologue Chuang Ya-Han, qui vient de publier Une minorité modèle ? Chinois de France et racisme anti-Asiatique (La Découverte), affirme que les immigrés asiatiques de première génération ont souvent du mal à nommer le racisme :

La mort du couturier Zhang Chaolin, à Aubervilliers, en 2016, a marqué un tournant. Les “vieux” ont alors accepté de collaborer avec la nouvelle génération. Et, suite à ce meurtre, la manifestation de la communauté chinoise a eu un fort retentissement.

Depuis plus de 10 ans, l’AJCF est engagée contre le racisme anti-asiatique et contre toute forme de discrimination. Cet engagement a notamment pris la forme d’un travail mémoriel, explique Daniel Tran, son vice-président. En 2017, l’association a décidé de collaborer avec le réalisateur et metteur en scène Karim Houfaïd, qui a réalisé un documentaire, _Les Travailleurs chinois de la Grande Guerre, pour célébrer le centenaire de l’armistice. Une dizaine d’interventions ont été organisées dans des collèges et lycées à travers le pays, dans le but de sensibiliser les plus jeunes à cette partie de l’histoire de France. Puis, l’AJCF et Karim ont conjointement mis en place des ateliers théâtre sur le thème de la discrimination dans différents établissements scolaires. « Dans certaines écoles, le racisme est un sujet tabou. Ces ateliers ont permis à plusieurs jeunes de se libérer d’un poids », analyse Daniel Tran. Ces actions éducatives visent à traiter le problème du racisme à la racine.

Interrogé sur le manque de moyen de l’Éducation nationale pour lutter contre ce phénomène, le député LREM Buon Tan, se défend : « On peut toujours faire mieux, mais je pense que le problème vient aussi de certains parents qui ont abandonné leur rôle d’éducation. » Cet élu a participé à un groupe de réflexion sur l’émergence et l’évolution des différentes formes de racisme. Avec ses pairs, ils ont publié un rapport d’information le 9 mars. Les parlementaires y préconisent des stages de citoyenneté et des sanctions pédagogiques comme réponse pénale face au racisme.

Investir dans la justice et la modération de contenus

« La justice française est pauvre », lâche Me Kuhn-Massot, l’avocat d’un des prévenus dans l’affaire des tweets haineux. La création du « parquet numérique », en janvier 2021, devrait donner lieu à des « progrès significatifs » en matière de réponse pénale face aux propos haineux sur internet, soutient le groupe de réflexion parlementaire. Le but est que cette juridiction coordonne son action avec celle de la plateforme Pharos, qui permet aux internautes de signaler des contenus et comportements illicites repérés en ligne. Mais, les moyens restent centralisés dans la capitale puisque le parquet de Paris sera désormais l’interlocuteur exclusif de Pharos. De plus, on peut constater que seules les grandes villes ont mis en place des « pôles anti-discriminations » au sein de leurs tribunaux. La députée LREM Caroline Abadie, rapporteure du rapport sur le racisme, souhaiterait donc que ces pôles soient étendus à l’ensemble du territoire.

« Aujourd’hui, les outils technologiques sont suffisants pour contrer 80 % des contenus haineux », assure Buon Tan. Mais, force est de constater que la réalité est plus complexe. « Pendant la pandémie, les plateformes ont principalement utilisé les algorithmes pour modérer les contenus publiés », explique Iris Boyer, secrétaire générale de l’Institut pour le dialogue stratégique (ISD) et spécialiste des réseaux sociaux. Avec l’apparition du Covid-19, le nombre de « fake news » a explosé sur la toile, notamment sur Facebook. Inquiet, le gouvernement a même créé un « guide » sur le sujet. « La responsabilité des États, c’est de pousser les entreprises à la modération », affirme la chercheuse.

Le 15 décembre, la Commission européenne a proposé de mettre en place une législation sur les services numériques qui va dans ce sens. Une réponse européenne semble de taille à contraindre Facebook, Twitter et autres plateformes à se doter d’une modération efficace. Iris Boyer met en avant deux stratégies développées par ces entreprises pour lutter contre la haine en ligne. Les « campagnes de communication interne », comme par exemple lorsque Facebook célèbre la journée du 8 mars avec des messages et des icônes spécifiques. La seconde consiste à « déprioriser » les propos malveillants. _« L’algorithme ne doit pas pousser les contenus sensationnalistes. C’est la logique qu’a appliqué Twitter quand la plateforme a clôturé le compte de Donald Trump, suite à l’invasion du Capitole », souligne Mme Boyer. L’ancien président des États-Unis est accusé d’avoir attisé la haine envers les populations chinoises en utilisant régulièrement le terme « Chinese virus » après la découverte du Covid-19 à Wuhan.

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

­À la Maison des métallos, des mineurs isolés se mobilisent pour leurs droits
Luttes 18 avril 2024 abonné·es

­À la Maison des métallos, des mineurs isolés se mobilisent pour leurs droits

Depuis le 6 avril, des mineurs isolés du collectif des jeunes du parc de Belleville ont décidé d’occuper ce lieu parisien symbolique des luttes sociales, pour dénoncer leur situation, davantage fragilisée par l’arrivée des Jeux olympiques.
Par Léa Lebastard
Au procès des militants basques de Louhossoa, un parquet antiterroriste obtus
Justice 18 avril 2024 abonné·es

Au procès des militants basques de Louhossoa, un parquet antiterroriste obtus

Les 2 et 3 avril derniers, à Paris, Jean-Noël « Txetx » Etcheverry et Béatrice Molle-Haran répondaient de leur participation à l’opération de désarmement de l’organisation de lutte armée ETA en 2016, à Louhossoa, au Pays basque. Avec cette question : un acte illégal, mais qui s’est avéré légitime, mérite-t-il d’être puni ?
Par Patrick Piro
S’adapter à la répression pour ne pas relâcher la pression
Analyse 17 avril 2024 abonné·es

S’adapter à la répression pour ne pas relâcher la pression

Ces dernières années, les luttes écologistes subissent une brutalité croissante des forces de l’ordre. Face à la disproportion des moyens employés par l’État, les militants cherchent à adapter leurs modes d’action.
Par Maxime Sirvins
« Développer toutes les mutineries contre la classe dominante »
Entretien 17 avril 2024 abonné·es

« Développer toutes les mutineries contre la classe dominante »

Peter Mertens, député et secrétaire général du Parti du travail de Belgique, publie Mutinerie. Il appelle à multiplier les mobilisations contre l’Europe néolibérale et austéritaire sur tout le Vieux Continent.
Par Olivier Doubre