Jeux de la nature et du hasard

Créée pour se jouer en extérieur, l’adaptation par Thomas Quillardet de L’Arbre, le Maire et la Médiathèque, d’Éric Rohmer, offre une réjouissante plongée dans une œuvre peu connue.

Anaïs Heluin  • 30 juin 2021 abonné·es
Jeux de la nature et du hasard
Un Rohmer drôle et politique.
© Pierre Grosbois

Pour Thomas Quillardet, comme pour le public d’Éric Rohmer en général, celui-ci est d’abord un fou d’amour. C’est un réalisateur qui décortique les relations entre les hommes et les femmes sous la forme de contes où la parole est reine, au point de l’emporter toujours sur les corps. Dans Où les cœurs s’éprennent (2017), le metteur en scène et directeur de la compagnie 8 Avril adaptait et rassemblait ainsi deux scénarios de films : Les Nuits de la pleine lune (1984) et Le Rayon vert (1986), dont les jeunes héroïnes sont montrées dans leur quotidien banal mais traversé par une quête d’amour et de liberté, par un idéal dont elles cherchent la forme sans la trouver.

L’Arbre, le Maire et la Médiathèque 2 juillet au Festival d’été de Châteauvallon (83), 04 94 22 02 02 ; 7 juillet au festival Par Has’ART à Noisiel (77) ; 9 juillet au Théâtre de Chelles (77) ; 18 juillet au Moulin du Roc à Niort (79). Le reste de la tournée sur 8avril.eu
Trop jeune pour avoir grandi dans les remous de la Nouvelle Vague, dont Rohmer fut l’une des figures majeures, Thomas Quillardet n’a pas hésité à alléger sa matière originale de nombreuses scènes et de bien des plages de dialogues. Il réitère avec bonheur l’opération avec L’Arbre, le Maire et la Médiathèque, qui donne à découvrir un Rohmer loin des jeux de l’amour, mais non pas du hasard. Sur la proposition du Théâtre de la Tempête, à Paris, il a adapté le scénario de ce film qui n’a pas obtenu la notoriété de Ma nuit chez Maud (1969) ou des Nuits de la pleine lune (1984).

Les dialogues, toujours aussi denses, de L’Arbre, le maire et la médiathèque portent non plus sur les choses du cœur mais, entre autres nombreux sujets, sur le rapport entre ville et campagne et sur l’écologie. Le paysage est, selon Quillardet, le sujet central du long métrage, situé à Saint-Juire, village de Vendée à la tête duquel Rohmer place un maire fictif : Julien Dechaumes, incarné dans la pièce par Guillaume Laloux, qui nous accueille tract à la main en nous invitant à utiliser des ballots de paille installés comme sièges de fortune. Du cinéma au théâtre, L’Arbre, le Maire et la Médiathèque ne perd rien de sa simplicité : celle-ci se transforme pour aller davantage vers la fable.

En faisant l’impasse sur tout ce qui ancre le film dans un contexte politique précis – les élections régionales de mars 1992 –, Thomas Quillardet met en avant ce qui nous en rapproche : une inquiétude pour l’environnement et l’avenir des campagnes, désertées par leur population. L’argument est simple : avec son projet de construction d’une grande médiathèque doublée d’un centre sportif, l’ambitieux maire déclenche les foudres de l’instituteur du village, prêt à toutes les prouesses, surtout oratoires, pour défendre le saule majestueux planté sur le terrain choisi.

Comme les jeux de la séduction habituellement dans le cinéma de Rohmer, l’écologie et la politique s’expriment dans le film par des dialogues dont certaines répliques sont si longues qu’elles finissent par ressembler à des monologues. S’il élague joyeusement le scénario (le film dure plus de deux heures, la pièce une petite heure), le metteur en scène conserve cette distorsion du langage courant. Il en fait une délicieuse matière théâtrale.

En reprenant la même distribution que celle d’Où les cœurs s’éprennent, Thomas Quillardet fait vivre à ses comédiens une expérience proche de celle des interprètes d’Éric Rohmer, parmi lesquels Pascal Greggory (le maire), Fabrice Luchini (l’instituteur) ou encore Arielle Dombasle (la très parisienne compagne du maire), qui, malgré la singularité de ce film, l’inscrivent pleinement dans la galaxie Rohmer.

Les artistes de la compagnie 8 Avril ne cherchent pas à imiter le fameux « jouer faux » du réalisateur de la Nouvelle Vague. Pour confronter les mots du scénario au concret de la scène, même improvisée sur un carré d’herbe ou dans une prairie, ils optent pour un jeu légèrement plus naturaliste que leurs célèbres prédécesseurs. Juste ce qu’il faut pour rendre sensible la pensée de l’auteur, et son humour, qui n’est pas la qualité qu’on lui reconnaît le plus souvent. Avec Thomas Quillardet, la vague Rohmer apparaît sous un jour nouveau.

Théâtre
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