« Le Père de Nafi », de Mamadou Dia : Le père et l’amer

Dans Le Père de Nafi, Mamadou Dia imagine, dans une ville du Sénégal investie par les islamistes, la confrontation entre deux frères.

Christophe Kantcheff  • 9 juin 2021 abonné·es
« Le Père de Nafi », de Mamadou Dia : Le père et l’amer
© JHR Films

Dans une petite ville du nord du Sénégal, deux frères s’affrontent. D’un côté, Tierno, imam dispensant un islam paisible et des principes d’intégrité ; de l’autre, Ousmane, personnage sans scrupule et nourri de ressentiments, lié aux islamistes. Une opposition que d’aucuns pourraient trouver manichéenne (encore que, lorsqu’il est question d’islamistes, ce reproche-là s’entend moins). Mais pour Mamadou Dia, dont Le Père de Nafi, tourné dans sa ville natale, est le premier long métrage, cette histoire est plausible. Même si le Sénégal en est encore préservé, le Mali voisin est gangrené par le terrorisme. Le cinéaste n’en revient toujours pas : « Il n’y a pas plus pacifique que les Maliens ! » dit-il dans le dossier de presse.

Pour les jihadistes, la religion est un leurre camouflant mal le système mafieux qu’ils veulent mettre en place afin d’en tirer pouvoir et profits. Le sens politique que Mamadou Dia donne à son film est sans ambiguïté. Pour autant, le film ne se caractérise pas par sa violence. Ou, plus exactement, la brutalité des uns est contrebalancée par la douceur qui émane de Tierno (Alassane Sy, remarquable dans ce rôle), due à la fois à son esprit de tolérance et à son peu de goût pour le combat, que n’arrange pas la maladie qui l’affecte.

En outre, le film développe des personnages féminins de caractère, qui se dressent contre l’arbitraire. Si le système patriarcal les relègue officiellement au second plan, elles manifestent une autorité et un esprit de rébellion tels qu’elles parviennent à tenir tête aux hommes. C’est particulièrement le cas de Nafi (Aicha Talla), qui trouve son père, Tierno, trop mou et ne transigera pas sur son désir de suivre des études scientifiques dans une université à Dakar, même si elle accepte de se marier, parce qu’elle en est amoureuse, à Tokara (Alassane Ndoye), le fils d’Ousmane (Saikou Lô), dont elle connaît l’influence mortifère et la volonté d’assujettissement.

Le Père de Nafi est une excellente nouvelle venant d’Afrique, plus particulièrement du Sénégal, où, par ailleurs, l’école de cinéma Kourtrajmé, fondée par Ladj Ly en Seine-Saint-Denis, vient d’ouvrir une section, à Dakar. Mamadou Dia a, lui, fait des études de cinéma à New York. Mais le jeune cinéaste n’« américanise » pas son esthétique. Les enseignements qu’il en a tirés, il les met au service d’un rythme, d’une voix, d’une vision qui lui sont propres, et qui font du Père de Nafi un film attachant et singulier.

Le Père de Nafi, Mamadou Dia, 1 h 50.

Cinéma
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