Procès de Bure : la défense fait surgir les failles de l’enquête

Des peines allant de dix mois avec sursis à douze mois ferme contre un prévenu déjà condamné ont été requises contre les sept opposant·es au projet Cigéo. La défense a voulu montrer que ce procès repose sur un dossier creux.

Vanina Delmas  • 4 juin 2021
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Procès de Bure : la défense fait surgir les failles de l’enquête
© Photos : Amanda Jacquel

Pendant son réquisitoire, le procureur de la République a dû hausser le ton. D’abord pour dépasser la barrière du masque sanitaire, puis pour tenter de couvrir la musique techno venant des militant·es antinucléaires resté·es à l’extérieur du tribunal correctionnel de Bar-le-Duc.. Et enfin pour faire la preuve de l’autorité due à sa qualité de représentant du ministère public. Il faut dire qu’en trois jours de procès, le son de sa voix n’a pas beaucoup résonné dans le prétoire.

Quatre ans d’enquête, un dossier épais de 22.000 pages – mais absent du bureau du juge, 450 scellés, des centaines d’heures d’écoute, près d’un million d’euros dépensés (selon une enquête Reporterre et Médiapart) et seulement 45 minutes de réquisitoire. Face aux sept opposant·es au projet Cigéo d’enfouissement de déchets nucléaires qui le regardent depuis le banc des prévenu·es, Sofian Saboulard a clamé ne pas être « le bras armé de l’Andra » [ndlr : Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs] et déploré la tournure politique qu’a prise ce procès, malgré son avertissement à l’ouverture de celui-ci.

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Pour J., F. et A. poursuivi·es pour « complicité de détention d’engin incendiaire en bande organisée et association de malfaiteurs », il a demandé 18 mois de prison avec sursis. Pour C.V. et B. accusé·es de « détention d’engin incendiaire en bande organisée », 12 mois avec sursis. C.D poursuivie pour « violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique », 10 mois avec sursis. Un an ferme est requis contre K. ayant déjà été condamné et incarcéré, notamment pour non respect de son contrôle judiciaire.

« Une justice de classe »

De leur côté, les huit avocat·es fidèles à leur stratégie de défense collective ont utilisé chaque seconde pour décortiquer chaque point du dossier et de l’instruction jugés disproportionnés, impartiaux voire aberrants. Me Faro, également l’avocat de Greenpeace France, n’a pas mâché ses mots et qualifié cette instruction de « véritable acte de barbouzerie » tant elle a cherché à ratisser large, sans être sûre de ce qu’elle trouverait, sans véritable preuve.

Pêcher des informations à droite, à gauche n’est pas digne d’une justice bien ordonnée. Si le juge était un pêcheur, il mourait de faim, il n’y aurait rien dans ses filets. Ces méthodes-là, je ne les ai vues employées que dans des dossiers liés au nucléaire !

Il pose enfin la question qui est dans la tête de tous : « À qui profite l’enquête ? » L’Andra – qui n’était plus partie civile – a eu copie de toutes les pièces, « et accès à tous les secrets des prévenues, pour nourrir ses plans de déstabilisation des opposants ce qui peut alimenter ses plans de déstabilisation des opposants ». Précision : un climat plus silencieux lui serait bénéfique car les débats sur la déclaration publique de Cigéo devraient s’ouvrir à l’automne. D’autre part, la DGSI a récupéré une partie des scellés ainsi que les identités de centaines de militant·es antinucléaires.

Au tour de Me Ambroselli de plaider. Il se lance dans une longue plaidoirie, empreinte de droit et de vécu. En effet, l’avocat historique des militants anti-Bure a lui-même été visé par cette instruction, jusqu’à subir une perquisition et une garde-à-vue. « Me voici en robe, devant vous… C’est étrange. Depuis trois ans, je me prépare à être jugé avec mes amis comme un malfaiteur », a-t-il déclaré. Avec émotion, il se lance dans un petit historique de cette enquête qualifiée de « délirante », « kafkaïenne », « grotesque », tout en regardant souvent ses « camarades et ami·es ». Et confie qu’il ne comprend toujours pas le non-lieu dont il a finalement bénéficié, décidé par Kevin Le Fur, le juge d’instruction interrogé comme témoin la veille. _« La différence entre moi et mes camarades, c’est le fait d’une justice de classe. Car il est plus difficile de poursuivre un avocat que ce que vous appelez une bande anarcho autonome.»

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Outre les démonstrations diverses soulignant les incohérences du dossier notamment concernant le relevé d’ADN sur les engins dits explosifs et la notion de « bande organisée », la défense est revenue longuement sur la journée du 15 août 2017. Car si l’affaire a démarré en juin 2017 avec la tentative d’incendie du Bindeuil, l’hôtel-restaurant du site Cigéo, l’instruction n’a jamais pu faire le lien avec les individus surveillés. Le procès ne s’est donc porté que sur la participation et l’organisation supposées des prévenu·es à cette journée de mobilisation, et à la manifestation non déclarée.

Me Ruef n’en démord pas : sans les décisions prises par les forces de l’ordre ce jour-là, les affrontements n’auraient sûrement pas eu lieu. « La préfecture a pris un arrêté d’interdiction de transport d’armes par destination mais n’a pas interdit la manifestation », commence-t-elle. À l’aide de plans de la zone brandis sous le nez du juge, elle retrace quasiment minute par minute le déroulé de la journée. Elle pointe que les gendarmes sont sortis de leur mission qui consistait à surveiller les bâtiments de l’Andra à Bure et ont bloqué la route allant vers Saudron, obligeant les manifestants à s’éparpiller dans les champs. Ce jour-là, les forces de l’ordre ont effectué 21 tirs de LBD ; 320 grenades lacrymogènes et 37 grenades GLI-F4 ont été lancées. Robin Pagès, un manifestant, a été gravement blessé au pied et en garde des séquelles aujourd’hui encore. L’avocate assène :

L’autorité civile n’a pas interdit cette manifestation mais l’autorité militaire a bloqué la route de son propre chef. Des difficultés dans le maintien de l’ordre qui n’ont jamais été analysées ni dans le dossier, ni dans cette audience.

La relaxe est demandée à l’unanimité, pour les sept prévenu·es et pour tous les chefs d’accusations. « Si l’information judiciaire n’a pas servi à étayer les infractions, elle a réussi à briser des solidarités, des amitiés… Souvenez-vous qu’ils et elles ont déjà payé ! », a tonné Me Bonaglia. Le jugement sera rendu le 21 septembre.

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