Avignon off : Un rêve de théâtre

Danse Le Cabaret des absents, François Cervantes s’inspire de l’histoire du Théâtre du Gymnase, à Marseille, pour imaginer un lieu de spectacle fou et idéal. Un carrefour de récits, refuge pour toutes les solitudes.

Anaïs Heluin  • 7 juillet 2021 abonné·es
Avignon off : Un rêve de théâtre
© Christophe Raynaud De Lage

Le théâtre, pour François Cervantes, est un espace de rencontres, de dialogues impossibles ailleurs ou presque. C’est un lieu où l’on traverse le monde à la suite d’acteurs engagés, lit-on sur le site de sa compagnie L’Entreprise, fondée en 1986 dans « une recherche sur les déchirures et les liens entre le corps et le verbe, entre tradition et création ». Dans Prison possession (2014),par exemple, il raconte lui-même sa longue relation épistolaire avec un détenu. Dans Face à Médée (2017), il permet la rencontre entre des femmes des quartiers nord de Marseille et l’histoire de celle qui, par amour, assassina ses propres enfants. Les ponts qu’il imagine dans Le -Cabaret des absents sont plus vastes encore : physiquement ou par la pensée, ils rassemblent des êtres de toutes espèces et de cultures différentes. Ils se rejoignent en un lieu que connaît intimement l’auteur et metteur en scène pour le pratiquer depuis de nombreuses années : un théâtre, bien entendu.

Comme presque tout dans l’écriture de François Cervantes, le cabaret du spectacle est un agrégat de fiction et de réel qui doit beaucoup à la foisonnante ville de Marseille, où l’artiste a choisi d’implanter sa compagnie. Racontée par bribes par plusieurs des très nombreux personnages de la pièce (une centaine, nous dit l’un des comédiens en prologue), son histoire s’inspire de celle du Théâtre du Gymnase. Comme ce lieu marseillais, le théâtre imaginé par -Cervantes fut sauvé de la destruction en 1980 par un hasard que la fiction n’aurait pu égaler : grâce à un industriel américain, en mémoire de ses parents qui avaient fui la Russie en 1897 et échoué à Marseille sur leur route pour les États-Unis.

Les six comédiens du spectacle mêlent cette anecdote réelle à d’autres qui ne le sont pas. Elle prend ici des airs de conte. « Un jour, ils avaient été surpris par un violent orage et ils s’étaient réfugiés sous un balcon / Oui / Une jeune femme leur avait ouvert la porte et leur avait proposé d’entrer / Oui / C’était ce théâtre / C’est vrai cette histoire ? / Oui. Ils avaient assisté au spectacle et, en rentrant dans la cabine du bateau, ils avaient fait l’amour, elle était tombée enceinte, et l’enfant, c’était lui, le vieux milliardaire américain », disent-ils à la manière chorale qu’ils délaissent régulièrement pour jouer des morceaux de vie d’anonymes, de solitaires, d’exilés.

Car tout le monde est bienvenu au Cabaret des absents. En priorité ceux qui n’ont nulle part où aller : un enfant devenu danseur à plumes après avoir été abandonné par ses parents, repartis en -Kabylie, une diva géante, une femme qui pleure, un magicien qui fait dire à trois cordes bien des vérités sur l’homme…

Catherine Germain – actrice fétiche de L’Entreprise depuis ses débuts, notamment dans son personnage de clown Arletty, que l’on a la joie de retrouver ici le temps d’une délicieuse scène de lavage de parquet –, Théo Chédeville, Louise Chevillotte, Emmanuel Dariès, Sipan Mouradian et Sélim Zahrani incarnent cette humanité diverse à travers un entrelacs de récits et de numéros aux esthétiques diverses. Certaines contemporaines, d’autres plus anciennes, dérivées de formes et d’artistes qui firent jadis la vie du théâtre jamais nommé : « Des opérettes, des ballets / Des combats de chevalerie / Des imitateurs d’oiseaux / Des physiciens illusionnistes, des ventriloques / Des décapités qui parlent […] », énumère le chœur.

Dans cette création gigogne, le théâtre existe tel qu’on aimerait qu’il soit : comme un endroit ouvert à toutes les singularités, à tous les possibles. Comme un refuge contre les brutalités du monde, où tout côtoie son contraire dans une intelligence parfaite et avec une poésie labyrinthique aux accents surréalistes. Avec Le Cabaret des absents, l’utopie est un rêve qui semble prêt à devenir réalité.

Le Cabaret des absents,du 7 au 29 juillet à 22 h 30 (relâche les 12, 19 et 26 juillet), Avignon, 04 84 51 20 10, www.11avignon.com

Musique
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