Canada : un pas vers la réconciliation avec les Autochtones

Mary Simon devient la première femme autochtone à être nommée gouverneure générale du Canada, un poste prestigieux lié à la couronne britannique. Cette annonce survient alors que des sépultures d’enfants sont mises au jour à proximité d’anciens pensionnats catholiques.

Marine Caleb  et  Adèle Surprenant  • 14 juillet 2021 abonné·es
Canada : un pas vers la réconciliation avec les Autochtones
Une cérémonie s’est tenue le 26 juin à Marieval, dans la Saskatchewan, en présence du Premier ministre Justin Trudeau, suite à la découverte d’un millier de sépultures d’enfants.
© Geoff Robins / AFP

O n est vraiment fières qu’une femme d’une nation [autochtone] occupe un poste aussi important », nous glisse au téléphone Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec (FAQ). Pour elle, le Premier ministre, Justin Trudeau, a fait un choix judicieux en nommant Mary Simon à la fonction de gouverneure générale du Canada, le 6 juillet.

Originaire du Nunavik, un territoire au nord du Québec, elle est réputée pour avoir défendu les droits et la culture des Inuits, peuple autochtone du nord-est canadien. Ex-journaliste et ambassadrice au Danemark, Mme Simon a également participé à l’inscription des droits autochtones, ancestraux ou issus de traités, dans la Constitution.

En tant que gouverneure générale, elle est désormais la garante des institutions et de la loi fondamentale qui protège ces droits, mais aussi la commandante en chef des forces armées canadiennes. Pendant cinq ans, elle aura la capacité de dissoudre le Parlement ou de demander au chef du parti d’opposition de former un gouvernement, si la situation l’exige.

« C’est un poste symbolique. Les gouverneurs généraux n’ont jamais de pouvoir décisionnel, mais ils ont un pouvoir de recommandation », nous confie Karine Vanthuyne, professeure à l’université d’Ottawa en anthropologie et études autochtones.

Réconciliation

La nomination a été chaleureusement accueillie par des représentants des Premières Nations, du Nord canadien jusqu’à Montréal. Beaucoup y voient un moyen de participer aux prises de décision, mais aussi d’amorcer « une forme de réconciliation et de reconnaissance », comme le soutient Viviane Michel.

Mais il en est d’autres que la nouvelle laisse sceptique. Il faut dire que la gouverneure générale représente la reine Elizabeth II au Canada, lequel fait partie du Commonwealth à titre d’État indépendant depuis 1931. Selon Karine Vanthuyne, certains jugent problématique « qu’une personne autochtone ait accepté ce poste-là, parce que c’est accepter le pouvoir colonial ». En dépit de ces critiques, la professeure estime que cette nomination « démontre quand même qu’on est loin du temps où on pensait que les Autochtones étaient fondamentalement inférieurs ». Si, selon elle, Mary Simon figurait sur la liste de potentiels élus pour ce poste depuis quelque temps, cette nomination intervient dans un moment charnière pour le Canada et les Premières Nations, alors que le besoin de réconciliation est à son comble.

« On est loin du temps où on pensait que les Autochtones étaient inférieurs. »

Interrogés sur les raisons de ce choix, les bureaux du Premier ministre ne nous ont pas fourni de réponse. La chercheuse Karine Vanthuyne l’interprète quant à elle par le fait que Justin Trudeau a voulu « démontrer symboliquement son engagement pour une réconciliation avec les peuples autochtones ». Elle estime que cela pourrait être vu comme du « maquillage » pour masquer l’absence de mesures concrètes.

Découvertes macabres

Cela a commencé à Kamloops, en Colombie-Britannique : 215 corps d’enfants sont retrouvés sur le terrain d’un ancien pensionnat à la fin du mois de mai. Quelques jours plus tard, les découvertes macabres s’enchaînent : 751 tombes anonymes à Marieval, en Saskatchewan, puis 182 autres à l’ancien pensionnat de la mission Saint-Eugène, de nouveau en Colombie-Britannique. C’était le 30 juin, à la veille de la fête nationale de la Confédération canadienne. Dans cette même province, 160 nouvelles tombes ont été découvertes le 12 juillet dernier.

Ce sont environ 150 000 enfants inuits, métis et membres des Premières Nations qui ont fréquenté les pensionnats durant plus de cent soixante ans, jusqu’à la fin des années 1990. Ils étaient arrachés de force à leur famille par les autorités canadiennes et provinciales et envoyés dans des établissements où le taux de mortalité pouvait atteindre 47 %. Ils recevaient une éducation religieuse, apprenaient le français ou l’anglais, pour mieux oublier leur culture et « sortir l’Indien de l’enfant », dans une tentative d’assimilation forcée.

Les pensionnats avaient pour but de « sortir l’Indien de l’enfant », dans une tentative d’assimilation forcée.

Depuis la découverte des sépultures, le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD, gauche radicale, pro-minorités), Jagmeet Singh, demande que le Canada remédie à cette injustice. « Il y a clairement eu des systèmes en place conçus pour les tuer », a-t-il déclaré pour justifier son utilisation du terme génocide. Un terme encore difficile à prononcer, même si on préfère lui accoler l’adjectif « culturel ».

C’est le rapport de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) publié en 2015 qui a reconnu que le Canada a perpétré un génocide culturel sur les Premières Nations. En 2019, le rapport final de l’enquête nationale sur les femmes ou les filles autochtones disparues et assassinées a utilisé le même terme.

Le rapport de la CVR propose justement 94 recommandations pour entamer la réconciliation entre le Canada et les Premières Nations. Si Ottawa affirme avoir répondu – totalement ou en partie – à 80 % d’entre elles, le constat est différent pour les Autochtones. En décembre 2020, les commissaires ayant rédigé le rapport demandaient que leur application soit accélérée.

Traumatisme

Les problèmes auxquels font face les Premières Nations ne se limitent pas au système des pensionnats. On peut également citer le racisme systémique, la marginalisation, l’éducation, l’insécurité alimentaire quatre fois plus élevée que la moyenne canadienne, le taux de suicide, l’itinérance et l’accès au logement. À ce jour, 38 communautés autochtones n’ont pas accès à l’eau potable. Certains de ces problèmes seraient liés au « traumatisme intergénérationnel des pensionnats indiens », juge Karine Vanthuyne, donnant l’exemple de l’abus de substances ou des violences intrafamiliales, surreprésentées dans les réserves.

« La France et l’Angleterre doivent aussi reconnaître leur responsabilité. »

Le budget fédéral de 2019 allouait près de 34 millions de dollars canadiens à la création d’un registre national des décès liés au système des pensionnats. À quelques mois du terme, il n’y a aucune nouvelle de ce projet. Questionné à ce sujet, le ministère des Relations Couronne-Autochtones n’a pas donné suite.

Plus de 3 milliards de dollars ont été versés aux survivants de ces pensionnats, selon le rapport final du comité de surveillance du processus d’indemnisation, commencé en 2007.

Pour Viviane Michel, comme pour beaucoup d’autres, ces mesures ne suffisent pas. « Des excuses formelles doivent être faites, puis il faut qu’il y ait réparation. Là, on pourra peut-être amorcer une réconciliation », affirme-t-elle, déterminée à poursuivre cet objectif.

Héritage colonial

Cette année, les populations autochtones ont appelé à un « Cancel Canada Day ». À Montréal, comme dans plusieurs autres grandes villes canadiennes, des milliers de personnes se sont rassemblées pour rendre hommage aux disparus, mais aussi reconnaître et dénoncer le génocide autochtone. Ces crimes « sont des découvertes pour de nombreux Canadiens, mais ça ne l’est pas pour les Premières Nations », affirme Karine Vanthuyne, ajoutant que « ce qui est nouveau, c’est qu’enfin on les croit, enfin on réalise l’ampleur du génocide ».

Parmi les mesures qui pourraient mener à la réconciliation, Femmes autochtones du Québec propose depuis longtemps l’ouverture d’une clinique sur les traumatismes. « Ce serait une bonne solution pour amorcer un bon processus de guérison pour l’ensemble des Premières Nations, parce que les traumatismes n’ont jamais été [traités] », défend Viviane Michel.

« Ce qui aiderait, ce serait de régler le problème de l’accès à l’eau potable dans les réserves ou de mettre en place les recommandations de la CVR ou de l’enquête sur les femmes autochtones assassinées et disparues », soutient Karine Vanthuyne. Elle en appelle aussi à un changement en profondeur et à une « décolonisation de la relation avec les Premières Nations ». « La France et l’Angleterre doivent aussi reconnaître leur responsabilité », estime-t-elle, en référence à l’occupation des deux puissances coloniales au Canada depuis le XVIe siècle.

Elle s’interroge sur la portée de la nomination de Mary Simon au poste de gouverneure générale. Est-ce « un pas dans la bonne direction » ou « un pas de plus vers l’assimilation des Autochtones » ? « Là, on les fait vraiment entrer dans le système politique canadien et dans le système colonial », craint l’anthropologue.

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