Aux élections allemandes, « la pression de la gauche est nécessaire »

À l’issue des élections du 26 septembre, une coalition des sociaux-démocrates, des Verts et de Die Linke est possible, mais à quelles conditions ? L’analyse d’Ates Gürpinar, de Die Linke.

Rachel Knaebel (Basta!)  • 23 septembre 2021
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Aux élections allemandes, « la pression de la gauche est nécessaire »
Des affiches de campagne des trois partis susceptibles de former une coalition de gouvernement en Allemagne.
© THOMAS KIENZLE / AFP

À l’issue du scrutin qui renouvellera le Bundestag le 26 septembre, une coalition gouvernementale désignera le chancelier ou la chancelière qui succédera à Angela Merkel, après quatre mandats successifs. Ates Gürpinar, 37 ans, est porte-parole de Die Linke (La Gauche) en Bavière et candidat aux élections législatives. Plus de justice sociale et climatique ainsi qu’une inflexion de la politique extérieure sont les principales conditions de la participation de son parti au prochain gouvernement.

Aujourd’hui, un gouvernement de coalition qui allierait le Parti social-démocrate (SPD), les Verts et Die Linke est envisageable après les élections législatives du 26 septembre. Quelle est la position de Die Linke à ce sujet ?

Ates Gürpinar : La question revient évidemment souvent ces dernières semaines. Mais il s’agit d’abord d’avoir un bon résultat le 26 septembre. Puis de déterminer les conditions pour participer à un gouvernement de coalition. Plus Die Linke sera forte, plus il sera possible d’exercer une pression sur le SPD et les Verts pour aboutir réellement à une autre politique sociale. Le SPD imagine aujourd’hui pouvoir gouverner avec les libéraux du FDP, mais rien ne peut se faire avec eux pour aller vers davantage de justice sociale et climatique.

Quels sont les points décisifs pour que vous participiez à un gouvernement ?

Il doit s’agir d’un projet de gauche en matière de politique sociale et de redistribution des richesses. Depuis qu’Angela Merkel est au pouvoir, la pauvreté et la richesse ont toutes deux beaucoup augmenté en Allemagne. Nous devons parvenir à changer cela, à augmenter les impôts des plus riches pour aider ceux qui sont dans le besoin. Concernant le salaire minimum [aujourd’hui de 9,50 euros brut de l’heure, NDLR], le SPD veut le relever à 12 euros, nous à 13 euros, parce que c’est le minimum pour ne pas se retrouver sous le seuil de pauvreté une fois à la retraite. Il faut aussi ne pas oublier les travailleurs dans la lutte nécessaire contre le changement climatique.

Le dernier point décisif, c’est la politique extérieure. Il faut repenser notre politique de sécurité pour la fonder sur la paix, et non sur la guerre et l’exportation de matériels militaires.

Le précédent gouvernement de coalition réunissant le SPD et les Verts, entre 1998 et 2005, avec Gerhard Schröder pour chancelier, a adopté l’Agenda 2010, signifiant un affaiblissement de la protection sociale et de l’indemnisation chômage, et une déréglementation du marché du travail. Le SPD a-t-il vraiment changé depuis ?

On oublie en effet souvent qu’il y a eu l’Agenda 2010. La pression de la gauche est nécessaire, sinon, partout où le SPD et les Verts gouvernent au niveau des Länder, on ne constate pas de changements décisifs dans les domaines du social et du climat. En Bade-Wurtemberg, par exemple, le ministre-président vert, Winfried Kretschmann [à la tête du gouvernement régional depuis 2011, d’abord en coalition avec les sociaux-démocrates puis avec le parti de droite CDU depuis 2016], n’a pas réussi grand-chose du point de vue de la politique climatique.

Sur la politique extérieure, on parle beaucoup de la revendication portée par Die Linke d’une dissolution de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan). Est-ce toujours une condition dans les discussions avec le SPD et les Verts ?

La question de la dissolution de l’Otan est toujours un angle d’attaque central contre nos positions. L’essentiel, pour nous, c’est que nous devons repenser notre politique extérieure. L’Afghanistan l’a montré une fois de plus de manière effrayante : il est illusoire de croire que nous pouvons y amener la paix par une intervention militaire.

Die Linke veut interdire les exportations de matériels militaires, renoncer aux interventions militaires à l’étranger et repenser la politique de sécurité internationale. Je sais bien que nous ne pouvons pas quitter tout de suite l’Otan, mais il faut sortir de ce vieux schéma de la guerre froide, avec l’Otan d’un côté et la Russie de l’autre, car cela ne contribue pas à la paix mondiale. Les alliés de l’Otan, comme l’Arabie saoudite, ne sont pas forcément connus pour agir pour la paix ou défendre les droits humains dans leur pays. Nous devons penser la sécurité mondiale autrement et dépenser moins pour la défense. Pour nous, envoyer des soldats dans d’autres pays ne contribue pas à la paix. Il y a des personnes au SPD et chez les Verts que nous pouvons convaincre de viser une politique extérieure tournée vers la paix.

Die Linke fait déjà partie de coalitions de gouvernement avec le SPD et les Verts au niveau des Länder. Ainsi à Berlin [qui est une ville-État] depuis 2016 et en Thuringe depuis 2014, avec Die Linke à la tête de la coalition. Ces alliances rouges-vertes fonctionnent-elles au niveau régional ?

En Thuringe, nous étions le parti le plus fort de la coalition, ce qui ne se produira pas au niveau fédéral, en tout cas pas pour l’instant. À Berlin aussi, la participation de Die Linke à la majorité municipale a permis des avancées en matière de politique sociale, par exemple pour rendre l’école maternelle gratuite, relever le salaire minimum à 12,50 euros pour les salariés directs et indirects de la ville. Cela n’aurait pas été possible sans une gauche forte. À Berlin et en Thuringe, les autres partis doivent composer avec nous.

Die Linke est surtout forte dans les grandes villes et dans les régions d’ex-Allemagne de l’Est…

Je vis pour ma part en Bavière, un land conservateur, où c’est plus difficile pour nous. Malgré tout, ici aussi nous pouvons faire bouger les lignes. Nuremberg, par exemple, a mis en place l’accès aux transports publics pour 1 euro par jour, à la suite d’une initiative citoyenne lancée par Die Linke. Même sans peser beaucoup dans les urnes, on peut trouver des partenaires pour mettre en œuvre des mesures de gauche. Dans l’ensemble, il est sûr que Die Linke est plus forte à l’Est et dans les villes, mais nous parvenons à faire avancer des choses aussi là où nous sommes moins puissants. C’est difficile, mais c’est possible, donc nous persévérons.

Pendant cette campagne législative, nous percevons beaucoup de soutien parmi la population pour des revendications que nous défendons depuis des années. Nous constatons par exemple que la construction de logements sociaux, le gel des loyers et même la socialisation des logements des grandes entreprises immobilières bénéficient d’un large appui – c’est un débat qui était impossible il y a seulement dix ans. Aujourd’hui, le SPD et les Verts ont eux-mêmes reconnu que l’Agenda 2010 était une erreur.

Die Linke peut donc aussi agir au niveau de la politique fédérale tout en étant dans l’opposition ?

On peut faire passer des choses d’une manière ou d’une autre. Prenons l’exemple du salaire minimum national. Le fait qu’il ait été introduit en 2015 [sous un gouvernement de -coalition entre la CDU et le SPD] est aussi le fruit du travail de Die Linke, des syndicats et des organismes sociaux. Aujourd’hui, ce salaire minimum est encore trop bas, il faut le relever, mais il existe. Et nous n’étions pas au gouvernement quand cette mesure a enfin été adoptée.

Durant la prochaine législature, un débat important aura lieu dans le domaine de la santé, du soin et de la dépendance. Nous avons aujourd’hui un système absurde de mesure des besoins en personnel dans les établissements de santé, qui a conduit à une sous-estimation du nombre de postes nécessaires. Résultat, les soignants subissent une forte charge de travail tout en gagnant très peu. Il faut changer cela. La plupart des partis admettent aujourd’hui que le système de santé ne peut pas être orienté vers le seul profit si on veut vraiment soigner les gens. Cela ne fonctionne pas. Ce combat, il ne se mène pas seulement au gouvernement, il part des organisations sur le terrain. Plus Die Linke est forte, plus ces thèmes seront discutés, que nous participions au gouvernement ou que nous soyons dans l’opposition.

Selon les sondages, votre parti est crédité de 6 % à 8 % des voix. Il faut 5 % pour avoir un groupe politique au Bundestag. Die Linke risque-t-elle de ne plus être présente au Parlement ?

De nouveaux sondages arrivent tous les jours. Les campagnes électorales sont toujours beaucoup plus axées sur les personnes, les erreurs individuelles des candidats, quand bien même elles n’ont aucune influence sur les programmes politiques eux-mêmes. Mais je crois que nous avons réussi, ces dernières semaines, à ramener les discussions au niveau des contenus. C’est le plus important pour nous.

Die Linke échange-t-elle avec les autres partis de gauche en Europe ?

Nous avons des échanges constants, au sein du Parlement européen et au-delà, et à travers notre fondation politique, la Rosa Luxemburg Stiftung. En Grèce, il y a toujours une gauche forte. On regarde aussi évidemment vers la France, où l’année prochaine sera décisive. Dans d’autres pays, comme en Italie, et en Europe de l’Est surtout, les alternatives politiques de gauche ont la vie dure. Il y a évidemment des raisons historiques à cela. Et sur certaines questions, par exemple la politique extérieure, il existe évidemment des différences entre les gauches selon les pays. Cela tient aussi au fait qu’avec notre passé, en Allemagne, nous sommes particulièrement prudents pour ce qui touche aux dépenses militaires et à la présence de soldats allemands dans des interventions à l’étranger. Ces différences de positions au sein des gauches européennes sont intéressantes à exposer et à discuter.

Cet article a été publié par Basta! le 23 septembre. 

Ates Gürpinar Porte-parole de Die Linke en Bavière, candidat aux élections législatives.

Monde
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