Pour la remontada des salaires

Elle aurait un effet multiplicateur sur la production et l’emploi et un effet accélérateur sur l’investissement.

Liêm Hoang-Ngoc  • 15 septembre 2021
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Pour la remontada des salaires
© Frédéric Scheiber / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Devant le Medef, Bruno Le Maire a invité les entreprises, grandes bénéficiaires des aides publiques, à augmenter les salaires, sans annoncer de mesures susceptibles d’enclencher le mouvement. Planifier la hausse des salaires est pourtant devenu une ardente obligation. Arnaud Montebourg a raison d’en faire l’un de ses chevaux de bataille, tant il est devenu indispensable de relever le Smic pour revaloriser les bas salaires, d’organiser la renégociation des hiérarchies salariales dans l’ensemble des branches et d’augmenter le point d’indice dans la fonction publique. C’est nécessaire pour faire face aux pénuries de main-d’œuvre dans les métiers pénibles et mal rémunérés et dans les services publics. Ça l’est de surcroît pour infléchir la répartition des richesses à l’échelle macroéconomique. Cela relancera-t-il l’inflation ? Marginalement dans un premier temps. Le léger regain actuel des prix n’est pas lié aux salaires, mais à la hausse du prix des composants électroniques, dont la fabrication a été délocalisée dans les pays d’Asie, où l’économie a été mise à l’arrêt par la crise sanitaire. Au demeurant, l’inflation n’est pas inutile pour réduire les charges de l’endettement public et privé.

Avant la crise, la part des profits dans la valeur ajoutée des sociétés non financières (c’est-à-dire leur taux de marge) avait atteint en 2019 un pic historique de 33 % grâce au double CICE (remboursement de 2018 + transformation du CICE en baisse pérenne de « charges »). La part des salaires s’était donc affaissée à 67 %, soit son niveau le plus bas depuis les Trente Glorieuses, où elle était de 70 % (pour un taux de marge de 30 %). Le taux de marge a certes baissé au plus profond de la crise sanitaire, mais a retrouvé le niveau élevé de 31,3 %, soit près de 7 points au-dessus de ce qu’il était avant le tournant de la rigueur de 1983 (25 %). Sept points de PIB représentent de nos jours 170 milliards d’euros, échappant chaque année aux salaires et aux caisses de Sécurité sociale. Cette somme a regonflé les profits, qui auraient dû, d’après les promoteurs des politiques de l’offre, engendrer les investissements d’hier et les emplois d’aujourd’hui. Il n’en a rien été, les deux tiers des profits étant consacrés au versement de dividendes aux actionnaires, au détriment des salaires et de l’investissement.

Les modèles postkeynésiens montrent en quoi un tel partage du gâteau est contre-productif : la propension de l’économie à consommer et à investir baisse, la rente financière fait boule de neige, les inégalités se creusent et le chômage persiste. Une hausse des salaires provoquerait au contraire des effets macroéconomiques bénéfiques. Elle accroît la demande aux entreprises et exerce à court terme un effet « multiplicateur » sur la production et l’emploi. Elle engendre à long terme un effet « accélérateur » sur l’investissement et redresse même la rentabilité du capital. Reste à déterminer le type d’investissements (relocalisés, écologiquement responsables et socialement utiles) à réaliser. C’est pourquoi la renationalisation d’industries stratégiques et la cogestion, combinées à la hausse des salaires, seraient de nature à favoriser la remontada de l’économie française.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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