Victimes d’AZF : « Face à nous, une armée d’avocats »

Pauline Gensel  • 22 septembre 2021 abonné·es
Victimes d’AZF : « Face à nous, une armée d’avocats »
Une chaîne humaine devant les ruines de l’usine AZF, le 21 janvier 2002.
© ERIC CABANIS/AFP

Le 21 septembre 2001, lorsque l’usine AZF explose, l’habitation de Denis Molins, comme celle de plus de 30 000 autres, est en partie détruite. Aujourd’hui, il milite au sein de l’association Plus jamais ça ni ici ni ailleurs – Croix de Pierre, pour obtenir la fermeture définitive de la plateforme chimique sud-toulousaine, qui accueillait l’usine, ainsi que des réparations de la part des responsables de la catastrophe. Il revient sur les mobilisations citoyennes qui se sont organisées après l’explosion et sur -l’absence de prise en compte des riverains de ces sites industriels par des pouvoirs publics peu enclins à revoir leur politique et des entreprises qui refusent toute remise en question.

Verbatim

Des années de procédures

21 septembre 2001 : explosion de l’usine AZF de Toulouse, appartenant à la société Grande Paroisse, elle-même filiale du groupe Total.

2009 : le tribunal de grande instance de Toulouse relaxe l’ex-directeur de l’usine, Serge Biechlin, et la société Grande Paroisse. Le parquet fait appel de la décision.

2012 : la cour d’appel de Toulouse infirme le jugement de 2009 et déclare Serge Biechlin et Grande Paroisse coupables d’homicides, de blessures et de destructions volontaires.

2013 : Total dépose une question prioritaire de constitutionnalité devant la Cour de cassation afin de faire annuler la condamnation de Serge Biechlin.

2015 : la Cour de cassation annule la décision d’appel sur AZF, retenant notamment la mise en cause par la défense de l’impartialité de l’une des magistrates de la cour d’appel de Toulouse, qui était vice-présidente de l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation.

2017 : Serge Biechlin et Grande Paroisse sont condamnés pour « homicide involontaire ».

« Rien n’a changé depuis AZF. On en a eu la preuve avec Lubrizol : AZF et Lubrizol, c’est copie conforme, avec le même type de discours des politiques, les mêmes problèmes de fond. On ne savait pas vraiment quels produits étaient utilisés sur le site d’AZF. Pour Lubrizol, le préfet avoue qu’il ne savait pas non plus ce qui s’y trouvait. Vingt ans après, rien n’a progressé par rapport aux risques industriels.

Or, bien avant l’explosion d’AZF, on savait. Tout le monde était au courant que cette usine représentait un danger. De nombreux riverains avaient déjà écrit à la préfecture par le passé, les employés redoutaient une explosion… L’usine était très ancienne, les normes de sécurité n’avaient pas vraiment été mises à jour et, surtout, plus de mille sociétés d’intérim intervenaient sur le site au cours de l’année. Dans cette situation, inévitablement, les questions de sécurité se perdent. Un problème que l’on rencontre sur tous les sites de type Seveso, mais aussi dans le nucléaire.

Lorsqu’une catastrophe comme celle d’AZF se produit, se pose ensuite la question de la responsabilité. Pour nous, au sein de l’association Plus jamais ça ni ici ni ailleurs – Croix de Pierre, le responsable n’était pas l’usine AZF elle-même ni son directeur, mais bien le groupe Total, qui chapeautait l’usine. Les restrictions économiques qui pesaient sur les normes de sécurité, c’est Total qui les imposait. Or le groupe a tout fait pour ne pas être désigné comme responsable de la catastrophe.

Pendant des années, notre association s’est mobilisée : sept ou huit d’entre nous se sont constitués parties civiles au pénal contre Total. Face à nous, une armée d’avocats, qui ont embarqué la justice sur tout un tas de pistes complètement farfelues et ont fait durer le procès, de façon à éloigner le plus possible la décision rendue de la catastrophe elle-même. La stratégie du géant pétrolier a fonctionné : l’entité AZF a été condamnée, mais pas le groupe Total.

Trois d’entre nous se sont aussi rendus au tribunal administratif afin d’attaquer l’État pour mise en danger de la vie d’autrui. Et, en 2012, nous avons créé, avec d’autres organisations environnementales, la Coordination nationale des associations riveraines des sites Seveso, qui regroupe une cinquantaine d’associations. Nous avons été reçus par de nombreuses personnalités politiques, sans obtenir de réelle avancée, car les citoyens ne sont pas du tout entendus.

Les riverains des sites Seveso sont totalement mis de côté. Les associations étaient auparavant parties prenantes, elles ne sont aujourd’hui plus que consultatives. On éloigne encore plus les citoyens des risques qu’ils subissent, à l’heure où l’on recense près d’un accident industriel par jour [le Bureau d’analyse des risques et pollutions industriels dénombre 329 accidents pour l’année 2020 – NDLR]. Les pouvoirs publics et les entreprises de ces sites demandent aux populations riveraines d’avoir une « culture du risque ». Nous nous y opposons : nous demandons une culture de la sécurité de la part des industriels. Le risque, nous le subissons.

À l’heure de la crise climatique, il est peut-être temps de s’interroger sur la véritable utilité de ces usines qui fabriquent des insecticides, des pesticides et tout un tas de produits chimiques. Le sujet mérite d’être débattu, ce que les entreprises chimiques refusent bien entendu de faire. Et il n’est pas question non plus de délocaliser cette production dans des pays qui seraient encore moins regardants que nous quant aux risques qu’ils font courir à leur population. Notre position, ce n’est pas “plus jamais ça devant chez nous”. C’est “plus jamais ça ni ici ni ailleurs”. »