Violences aux migrants : Cette réalité qu’on veut nous cacher

Mise à l’écart et intimidation sont devenues l’ordinaire des journalistes et des observateurs associatifs qui tentent de rendre compte de l’action des pouvoirs publics contre les migrants du Calaisis.

Michel Soudais  • 20 octobre 2021
Partager :
Violences aux migrants : Cette réalité qu’on veut nous cacher
© Eric Beracassat / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Le reportage à Calais que nous livre Romane Lizée cette semaine témoigne des agissements effrayants des forces de l’ordre contre des personnes migrantes. Ce n’est peut-être pas le premier que vous lirez, mais il décrit une intolérable réalité qui dure depuis trop longtemps pour qu’on s’y résigne par lassitude. Une réalité que les autorités de ce pays voudraient taire, et en tout état de cause nous empêcher de rapporter.

Lire > Comment la France harcèle les exilés

Notre reporter n’a pu que le constater. Témoin d’une opération de police au petit matin, elle a vu les forces de l’ordre établir, autour du campement d’exilés qu’elles étaient venues détruire, un « périmètre de sécurité » pour tenir à l’écart bénévoles et journalistes, à qui on intime l’ordre de « reculer ». Ne pouvant rien voir, rien photographier, elle a bien tenté de contourner les agents en poste mais a vite été rattrapée. Un gendarme l’écarte et finit par lui demander ses papiers, et noter son identité et son numéro de carte de presse. Elle ne faisait que son travail. Au cours d’une autre opération de police, c’est un CRS qui la filme à travers la fenêtre entrouverte de son véhicule. « Vous nous filmez bien, vous », rétorque l’agent à notre reporter qui s’offusque de cette prise d’images illégale.

Ces scènes d’intimidation et de mise à l’écart sont hélas devenues l’ordinaire des journalistes et des observateurs associatifs qui tentent de rendre compte de l’action des pouvoirs publics locaux dans le Calaisis. Interdits à cinq reprises, fin décembre, d’accéder à la zone où se déroulait une évacuation de migrants, Louis Witter et Simon Hamy, deux journalistes indépendants, l’un photographe, l’autre reporter, avaient intenté une procédure de référé-liberté auprès du tribunal administratif de Lille, puis du Conseil d’État. En vain. Le Ministère public a osé arguer que filmer des expulsions « allait à l’encontre de la dignité des migrants ». Alors qu’en contournant les cordons de police, Louis Witter avait pu surprendre des employés d’une entreprise prestataire, armés de couteaux et visage cagoulé, découper les tentes occupées par des migrants quelques instants plus tôt, par « 3 °C dehors ». Largement diffusés, ces clichés avaient scandalisé à raison.

L’établissement de ces « périmètres de sécurité », dont la France prétend dans une réponse au Conseil de l’Europe qu’ils sont établis « pour la sécurité des forces de sécurité présentes et de celle des personnes cherchant à s’introduire sur le site », constitue bel et bien une atteinte à la liberté d’informer, sans laquelle il n’est pas de démocratie véritable.

Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Résistances
Parti pris 24 juillet 2024

Résistances

À quoi ressemblera la France après la trêve estivale, ou olympique, à laquelle aspire Emmanuel Macron ? Qui gouvernera ? À quoi ressemblera le monde de l’après-Biden ? Face au désordre, des résistances partout s’organisent, inspirant autant le respect que l’espoir d’un monde meilleur.
Par Pierre Jacquemain
Nouveau Front populaire : soyons lucides et réalistes
Parti pris 16 juillet 2024

Nouveau Front populaire : soyons lucides et réalistes

Depuis sa relative victoire le 7 juillet, le Nouveau Front populaire se cherche en vain un nom pour Matignon. Mais la coalition de gauche se déchire, pendant que Macron rigole et que le RN attend son heure. En quelques jours, elle s’est décrédibilisée.
Par Pierre Jacquemain
Une mobilisation populaire éteinte par une gauche irresponsable
Gauche 16 juillet 2024

Une mobilisation populaire éteinte par une gauche irresponsable

Alors que le Nouveau Front populaire a soulevé une espérance chez de nombreuses organisations du mouvement social, les dernières tergiversations quant au nom du Premier ministre ont jeté un froid. Et questionnent la possibilité d’un accompagnement d’un gouvernement de gauche par une mobilisation populaire.
Par Pierre Jequier-Zalc
À gauche, une équation aussi pénible qu’insoluble
Parti pris 9 juillet 2024

À gauche, une équation aussi pénible qu’insoluble

Au second tour des législatives, le Rassemblement national, bien qu’en forte progression, a été défait, le macronisme rejeté et le Nouveau Front populaire est devenu la première force politique à l’Assemblée. Mais la gauche doit-elle prendre le risque de gouverner sans capacité d’agir ?
Par Pierre Jacquemain