Harcèlement sexuel dans la police : À quand une tolérance zéro ?

La Défenseure des droits a publié, le 12 avril 2021, une décision-cadre dénonçant le non-respect par les administrations de leurs obligations de protection contre le harcèlement sexuel au sein des forces de sécurité publique.

Nadia Sweeny  • 12 janvier 2022 abonné·es
Harcèlement sexuel dans la police : À quand une tolérance zéro ?
© FIORA GARENZI / AFP

S’appuyant sur 55 dossiers instruits par ses services depuis 2016, dont 12 concernant la police nationale, la Défenseure des droits dresse un bilan alarmant sur la méconnaissance des obligations de protection et de prise en charge par les administrations des victimes de harcèlement sexuel au sein des forces de sécurité publique.

Une cellule d’alerte peu efficace

Signal-Discri est la cellule d’alerte interne de la police nationale spécialisée dans le traitement « des discriminations, des actes de harcèlement sexuel ou moral et des actes de violences sexistes et/ou sexuelles au sein de la police nationale », peut-on lire dans le rapport annuel de l’IGPN, dont la cellule dépend. Créée en octobre 2017, quelques semaines avant qu’Emmanuel Macron ne décrète les violences faites aux femmes« grande cause du quinquennat », cette plateforme se révèle peu efficace.

Bien qu’elle se présente comme une « voie d’expression parallèle ou subsidiaire à la ligne hiérarchique », elle plafonne autour de 200 signalements annuels. Sur un corps qui compte près de 40 000 policières (27 % des effectifs), seuls 5 signalements en 2020 concernent des faits de harcèlement sexuel et un seul porte sur des violences sexistes alors que 55 % des Françaises disent avoir été victimes au moins une fois d’atteintes sexuelles ou sexistes sur leur lieu travail au cours de leur vie (1). L’IGPN reconnaît dans son rapport que ces faits « demeurent marginaux au titre des signalements » contrairement au harcèlement moral, qui constitue la majorité des cas traités par Signal-Discri – 115 cas en 2020. Il est d’ailleurs devenu la priorité de l’administration. Or, là encore, la plateforme ne démontre pas son efficacité : aucune des 37 enquêtes judiciaires menées par l’IGPN pour harcèlement moral ne découle d’une saisine Signal-Discri.

(1) D’après une enquête de l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’études progressistes menée en 2019.

Comme en miroir de l’affaire de Champigny-sur-Marne, Claire Hédon constate une trop grande banalisation des _« propos et comportements à connotation sexiste et sexuelle » et recommande de « former les encadrants à une politique de “tolérance zéro” concernant les blagues sexistes, les propos et comportements vulgaires, obscènes et à connotation sexuelle ». Ce fameux humour libidineux derrière lequel trop de harceleurs se cachent et qui n’affecte en rien la notation des policiers qui s’en rendent coupables.

Dans un dossier éloquent traité par la Défenseure des droits, une gardienne de la paix s’était plainte de ce type de propos de la part de son supérieur hiérarchique, propos doublés d’actes déplacés. Comme pour le dossier de Champigny, bien que le comportement sexiste de l’agent fût connu de tous, le policier mis en cause jouissait d’une excellente notation. Même le tribunal correctionnel qui l’a condamné en 2018 pour harcèlement sexuel – alors que l’enquête administrative avait conclu à l’absence de faits probants – s’est étonné, dans son jugement, d’une notation qui « démontre soit l’intégration de la banalisation des comportements vulgaires et dégradants, soit la volonté de ne pas sanctionner des comportements répréhensibles dans le cadre d’un silence administratif sur les comportements déviants ». Selon le tribunal, le policier prévenu « a pu se sentir conforté dans son attitude par une hiérarchie complaisante ou soucieuse d’éviter tout scandale ».

Sentiment de déjà-vu

Dans une circulaire datant du 9 mars 2018 relative à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes dans la fonction publique, le gouvernement a imposé des pistes d’actions, notamment la mise en place de dispositifs de sensibilisation aux violences sexuelles et sexistes, prônant lui aussi une tolérance zéro en la matière. Contactée, la préfecture de police de Paris nous assure que des campagnes de prévention sont régulièrement menées via son intranet. « La dernière d’entre elles a eu lieu le 25 novembre 2021, à l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes », nous écrit le service de presse.

Quand les faits sont établis, les sanctions sont très en deçà de ce qu’il est permis d’attendre.

Si, au commissariat de Champigny, personne ne semble en avoir vu la couleur, la préfecture nous a transmis des documents censés appuyer ces campagnes. Dans l’un d’eux, intitulé « Si je suis témoin d’une violence sexiste ou sexuelle », on peut lire : « Sur le lieu de travail, si vous êtes témoin, il faut le signaler auprès de la hiérarchie. » Un brin naïf quand on constate le peu de -soutien que la -hiérarchie policière apporte à celles et ceux qui osent parler. Dans un article de Libération paru le 5 janvier,_ des policiers racontent d’ailleurs l’acharnement des chefs contre les personnes qui dénoncent des -dysfonctionnements.

Pour « réprimer l’inertie et la complaisance de la hiérarchie », la Défenseure des droits recommande donc aux ministères d’« engager des poursuites disciplinaires contre les encadrants qui ont manqué à leurs obligations en ne signalant pas les faits dont ils ont eu connaissance ».En outre, lorsque les faits sont établis, elle préconise, conformément à la circulaire de 2018, des sanctions disciplinaires « effectives, proportionnées et dissuasives », celles-ci se révélant régulièrement « très en deçà de ce qu’il est permis d’attendre, notamment s’agissant de harceleurs qui exercent une autorité hiérarchique sur la victime », note Claire Hédon.

Les ministères de l’Intérieur et de la Défense ont été priés d’apporter des suites à ces recommandations dans un délai de cinq mois. Neuf mois après publication, les discussions, particulièrement avec le ministère de l’Intérieur, sont toujours en cours. Sans que le contenu ou la nature de ces échanges ne soient rendus publics.