Impunité bien ordonnée

Vincent Bolloré et son protégé se sont cruellement gaussés de la représentation nationale.

Sébastien Fontenelle  • 26 janvier 2022
Partager :
Impunité bien ordonnée
© Arthur Nicholas Orchard / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Osons l’énoncer distinctement, et sans craindre de heurter la bien-pensance : il existe, dans la France des années 2020, de véritables zones de non-droit, où les règles démocratiques peuvent être ostensiblement bafouées.

De véritables territoires perdus de la République, dans lesquels d’outrecuidants énergumènes, encouragés par des autorités démissionnaires, peuvent défier ouvertement le législateur.

Le Sénat est l’un de ces endroits où des provocateurs assurés de leur impunité se soustraient publiquement à l’obéissance des lois. Cela s’est vu la semaine dernière : des magnats de la presse, milliardaires enrichis dans la pandémie (1) pendant que la plèbe morflait, ont été auditionnés par une commission d’enquête (2) – sénatoriale, donc – sur « la concentration dans les médias ».

Vincent Bolloré, propriétaire (notamment) d’une chaîne de télévision devenue en peu d’ans une espèce de seconde maison pour l’éditocratie réactionnaire, et qui, après lui avoir offert (entre 2019 et 2021) une tribune quotidienne, assure désormais la promotion journalière du candidat d’extrême droite Éric Zemmour (3) – Vincent Bolloré, disais-je, a ainsi pu prétendre sans rire, le 19 janvier, devant les sénateurs et sénatrices qui l’interrogeaient, qu’il n’avait ni « l’ambition » ni « l’intention d’essayer de faire des chaînes d’opinion ». Puis d’ajouter – pourquoi se gêner – qu’il ne soutenait pas spécialement Zemmour, dont « personne ne pensait », a-t-il ajouté dans ce que nous pourrions presque appeler un lapsus révélateur, qu’il « allait être président de la République ». Après quoi, trois jours plus tard – le 22 janvier –, l’aspirant-président, renvoyant à son fortuné liftier l’ascenseur qui lui a permis de s’imposer dans le paysage politique français (PPF), a rendu un vibrant « hommage » à son bienfaiteur : Vincent Bolloré, a expliqué le candidat xénophobe, est un admirable « patriote qui veut défendre la France ». Si nous demandons à un·e enfant de trois ans ce qu’il pense de tout cela, sa réponse sera évidemment que Vincent Bolloré et son protégé se sont cruellement gaussés de la représentation nationale, et qu’icelle devrait en éprouver une gigantesque honte. Mais les parlementaires qui ont ainsi été publiquement ridiculisé·es se sont très obligeamment abstenu·es de sanctionner cette impudente goguenardise : l’impunité bien ordonnée ne va pas sans complicités.

(1) Et souvent pris déjà dans de vilaines histoires fiscales qui n’ont pas le moins du monde entamé leur prestige. (2) Rappelons ici que le fait de mentir devant une telle commission est passible d’une peine de cinq ans de prison et d’une lourde amende. (3) Plusieurs fois condamné pour provocation à la haine raciale et religieuse, il était jugé en appel, jeudi 20 janvier, pour avoir tenu des propos contenant, selon le tribunal qui l’avait jugé en première instance, « la négation de la participation » du maréchal Pétain « à la politique d’extermination des juifs menée par le régime nazi ».

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don