DañsFabrik, à Brest : Du vert sur les planches

Le festival brestois DañsFabrik creuse le sillon de l’écologie dans le spectacle vivant. Une programmation fertile autour de chorégraphes originaux.

Jérôme Provençal  • 16 février 2022 abonné·es
DañsFabrik, à Brest : Du vert sur les planches
u00ab Mamisargassa 1.0 u00bb, de la chorégraphe martiniquaise Annabel Guérédrat.
© Yan Mathieu Larcher

Événement oscillant entre danse, performance, nouveau cirque et arts visuels, Dañs-Fabrik est né durant l’hiver 2012. L’initiative en revient à Matthieu Banvillet, alors directeur du Quartz, établissement culturel phare de Brest. Après une éclipse forcée en 2021, pandémie oblige, le festival renaît cette année et ouvre par ailleurs un nouveau chapitre de son histoire, à la suite du départ en 2020 de Matthieu Banvillet.

DañsFabrik, 22 au 26 février à Brest. dansfabrik.com

Première femme nommée à ce poste, et entrée en fonction en mars 2021, Maïté Rivière tient désormais la barre du Quartz et assure par conséquent la direction artistique de Dañs-Fabrik. En prise avec notre époque, elle a choisi de placer l’écologie au cœur de l’édition 2022 en proposant à deux chorégraphes français, Betty Tchomanga et Jérôme Bel – tous deux artistes associés à ce haut lieu de la culture brestoise –, de contribuer à la programmation.

Depuis 2009, la première travaille comme interprète en danse contemporaine (on a pu la voir dans plusieurs créations de la tonitruante chorégraphe brésilienne Marlene Monteiro Freitas) et conçoit en parallèle ses propres projets scéniques – dont Madame, belle pièce à l’atmosphère très cinématographique, présentée à DañsFabrik en 2016.

Quant à Jérôme Bel, apparu au début des années 1990, il s’est affirmé comme l’un des chorégraphes les plus singuliers de sa génération. Développant un langage très expérimental et minimaliste, jouant avec les codes habituels de la représentation, il met particulièrement à l’épreuve la notion de spectacle. Jérôme Bel (1995), The Show Must Go On (2001), Cédric Andrieux (2009), Disabled Theater (2012) et Gala (2015) comptent parmi ses pièces emblématiques.

Récemment, le chorégraphe a pris la décision de ne plus utiliser l’avion pour faire tourner ses productions. «Cette situation implique de nouvelles manières de travailler, comme l’utilisation de la visioconférence pour les répétitions à travers le monde, qui suscitent à leur tour un autre projet artistique. C’est très excitant ! » Son positionnement général sur ce thème est encore plus tranché : « Beaucoup d’artistes tiennent de grands discours sur l’écologie tout en continuant à polluer avec leurs pratiques. Ils doivent assumer leurs responsabilités vis-à-vis du vivant. »

Les propositions de Jérôme Bel pour Dañs-Fabrik s’articulent autour de deux axes. Le premier, pragmatique, vise à réduire au maximum l’empreinte carbone. En résulte le Local Festival International, petite manifestation intrafestivalière qui réunit le temps d’une soirée des pièces nées de collaborations entre artistes de Bretagne et d’autres continents. Présentant leur pièce Tsef Zon(e), inspirée de danses folkloriques bretonnes, les chorégraphes et danseuses Pauline Sonnic et Nolwenn Ferry vont ainsi également interpréter Léviathan, de la chorégraphe uruguayenne Magdalena Leite.

L’autre axe, thématique, concerne des œuvres abordant notre rapport au vivant. S’y inscrivent La Nature, le dernier film en date du cinéaste arménien Artavazd Pelechian, et Extinction Room (Hopeless.), une pièce hybride – entre performance dansée et installation sonore – du chorégraphe roumain Sergiu Matis, centrée sur des espèces en voie d’extinction.

« Il m’a semblé important d’aborder les questions environnementales à travers un prisme décolonial, intégrant d’autres points de vue et d’autres réalités par rapport à ces questions», précise Betty Tchomanga au sujet de sa programmation 2022. Un livre l’a particulièrement influencée : Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen, un essai (1) de l’ingénieur en environnement et politologue français Malcom Ferdinand. Dans une approche intersectionnelle, celui-ci s’attache à confronter les enjeux écologiques actuels avec l’histoire de la (dé)colonisation.

« À la suite de cette lecture, très marquante, j’ai été amenée à envisager autrement les questions liées à l’environnement, déclare Betty Tchomanga. Je n’avais encore jamais établi un tel lien entre l’écologie et la colonisation, laquelle a impliqué des modes spécifiques d’habitation de la Terre et d’exploitation des êtres humains ou non humains. »

La chorégraphe a souhaité partager ce stimulant matériau de réflexion. Le public brestois va ainsi découvrir Mamisargassa 1.0, solo futuriste de la chorégraphe martiniquaise Annabel Guérédrat, qui se projette en 2083 sur une île devenue déserte et sur laquelle apparaît une entité mutante issue des sargasses (algues toxiques très répandues en Martinique).

Signalons également The Wake, du collectif The Living and The Dead Ensemble, turbulente pièce mêlant texte, performance et vidéo, durant laquelle les huit interprètes – aussi vifs d’esprit que de corps – œuvrent avec ardeur à l’invention de nouvelles formes de lutte dans un monde en ébullition.

Aux cartes blanches (ou vertes) offertes à Jérôme Bel et Betty Tchomanga s’ajoute un bouquet de propositions sous le signe de l’écologie. Citons Temps de baleine, pièce tout public de Jonas Chéreau traversant drôlement la problématique du changement climatique ; Forces de la nature, d’Ivana Müller, suivant un groupe de cinq personnes qui tentent de construire un habitat commun ; ou encore Des plantes sauvages à l’heure du capitalocène, rencontre-conférence animée par l’artiste et botaniste Thomas Ferrand, durant laquelle il évoquera son usage de plantes sauvages comestibles et analysera nos (vieilles) habitudes en matière d’alimentation.

(1) Seuil, 2019.

Spectacle vivant
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