Mobilisation générale pour les services publics

Auteur de violences sous stupéfiants, un policier échappe au conseil de discipline et repart sur le terrain.

Erwan Manac'h  • 23 février 2022
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Mobilisation générale pour les services publics
© Stéphane DUPRAT / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Plus la situation est grave, plus il faut s’efforcer de garder espoir. Voilà résumé l’état d’esprit d’une cinquantaine d’organisations d’agents et d’usagers des services publics, toutes frappées par un sentiment d’urgence et une envie de se rassembler. Le 14 février, le collectif Printemps des services publics s’est constitué autour d’un appel commun et d’un programme de mobilisation tendu vers la présidentielle. « Nous atteignons un point de rupture, il y a urgence à réinventer les services publics », lance Arnaud Bontemps, magistrat de la Cour des comptes en disponibilité et animateur du collectif Nos services publics. « L’enjeu est d’éviter le grand effondrement organisé, abonde Willy Pelletier, sociologue et coordinateur de la Fondation Copernic. La régulière dégradation des services publics est insupportable, pour ceux dont la vie en dépend ou qui y travaillent. Ce sont des vies empêchées ou bousillées. »

Le collectif tire un bilan particulièrement sévère du quinquennat qui s’achève. Dans les hôpitaux, le covid n’a fait qu’accentuer une crise structurelle. « Nous avons atteint un point où il y a clairement des pertes de chance pour les patients, ce qui est totalement inacceptable », dénonce Olivier Milleron, cardiologue à l’hôpital Bichat à Paris et membre du Collectif inter-hôpitaux. Son service a dû fermer 40 % des lits, faute de personnel. Le bilan est sombre également dans le champ du travail social, avec une désaffection inquiétante des professionnels (15 % à 30 % des postes sont vacants et 70 % des employeurs rencontrent des difficultés de recrutement), qui a forcé Jean Castex, le 17 février, à augmenter les travailleurs sociaux de 183 euros net. Le même montant avait été accordé aux soignants en 2020. Dans la justice, la situation est comparable, le manque de moyens et le sentiment d’empêchement dans leur travail a tiré de leur réserve 3 000 magistrats, soit un tiers de la profession, fin novembre 2021, pour dénoncer dans une tribune coup de poing les dérives d’« une justice qui n’écoute pas, qui raisonne uniquement en chiffres, qui chronomètre tout et comptabilise tout ».

Ce sont des vies empêchées ou bousillées.

Au manque de moyens s’ajoute une accélération de la dématérialisation des procédures administratives, volet essentiel de la « modernisation » des services publics, qui vient de recevoir un bilan cinglant du Défenseur des droits. L’ouverture de 2 055 « espaces France services », partout dans le pays, pour compenser la désertification n’a pas permis d’éviter que la fracture numérique se creuse. Treize millions de Français sont en difficulté avec les outils numériques et la dématérialisation a entraîné une perte de droits pour un nombre significatif d’entre eux (titres de séjour, retraite, allocations sociales). Les réclamations adressées au Défenseur des droits au sujet de difficultés liées aux services publics ont presque triplé en sept ans (1), préviennent Claire Hédon, Défenseure des droits, et ses équipes. Elles concernent en particulier les démarches des étrangers en préfecture, la délivrance des permis de conduire ou d’immatriculation, les caisses d’allocations familiales (aides sociales) et les Carsat (retraites).

Externalisation

Cette fragilisation est ancienne. Trente ans de « new public management » et de libéralisation des grands réseaux (La Poste, télécommunications, électricité, routes et aujourd’hui rail) ont affaibli l’idée même d’intérêt général. Depuis 2007 et la loi de révision générale des politiques publiques (RGPP), prolongée à partir de 2012 par la modernisation de l’action publique (MAM), les services publics ont été « modernisés » au seul prisme des économies budgétaires : baisse drastique des emplois, décentralisation sans les moyens associés, fusions de services et développement systématique des « agences ».

© Politis

Au fil des réformes s’est dessiné un arsenal de normes budgétaires et juridiques qui rendent progressivement l’externalisation incontournable. La sous-traitance s’impose partout, du nettoyage des locaux à l’élaboration des politiques, en passant par une liste toujours plus fournie de missions régaliennes comme l’expertise ADN des enquêtes judiciaires ou la délivrance de titres officiels (visas, cartes grises). Au bout du compte, ces sous-traitances sont plus coûteuses, mais entraînent également une perte de compétences, une perte de vue de l’intérêt général et une dépréciation des conditions de travail des agents.

Emmanuel Macron a accéléré ce mouvement en confiant directement à des personnalités de grandes entreprises et de fonds d’investissement, entre autres, de fixer les grandes lignes de la réforme de l’État, par le biais de la mission « Cap 2022 », en 2017. Avec la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, son gouvernement a facilité le recrutement de contractuels, encouragé les allers-retours entre le public et le privé, et réduit les droits syndicaux, touchant ainsi au cœur du réacteur de la fonction publique : « C’est une défonctionnarisation des fonctionnaires. Désormais, de petits managers visent à plaire à des grands managers pour devenir des moyens managers », souffle Willy Pelletier.

La perte de vue de l’intérêt général a des conséquences qui sont impossibles à quantifier, jugent les membres du collectif. « Il ne peut y avoir de justice sociale sans les services publics. Ils jouent un rôle d’amortisseur social en temps de crise », regrette Anne Guyot-Welke, de Solidaires finances publiques. « La preuve avec le covid : ce sont les établissements publics de santé qui ont accueilli 85 % des patients », complète Olivier Milleron.

Une démarche offensive

Alors que le malaise grandit chez les agents, on a vu se renforcer la censure des expressions divergentes en interne, par une utilisation excessive du devoir de réserve des agents. « Un devoir de réserve à géométrie variable selon le contenu de notre expression, regrette le collectif Nos services publics dans un guide à l’attention des agents. Il est plus facile d’expliquer comment baisser les dépenses publiques que de dire pourquoi il ne faudrait pas le faire. »

Pour tenter de mobiliser, le collectif Printemps des services publics mise sur une démarche offensive et tente de raviver un espoir. Celui d’un service public transformé, plus démocratique et tourné vers les attentes des usagers. Il devrait lancer une consultation en ligne, pour établir une « revue des besoins » et recueillir des témoignages (2). Une journée « d’interpellation et de débat, partout en France » est également prévue le 19 mars.

Cette démarche commune souligne une évolution du paysage militant et une volonté de « dépasser les défenseurs traditionnels des services publics », juge Arnaud Bontemps. Des organisations bien installées (syndicats et collectifs d’usagers) ont en effet été rejointes par des groupes plus récents, comme les collectifs inter-urgences et inter-hôpitaux, ou des collectifs d’agents et de cadres de la fonction publique, comme Nos services publics ou le Lierre, consacré aux enjeux de la transition écologique. Une première victoire, pour cet alliage d’un type nouveau, serait de parvenir à imposer l’opposition à la destruction des services publics comme un thème de campagne.

(1) 91 000 en 2021, contre 35 000 en 2014.

(2) printempsdesservicespublics.fr