Prise en charge du grand âge : Cinq ans de renoncements

En dépit de promesses de début de quinquennat, Emmanuel Macron a soigneusement évité de s’attaquer au sujet de la prise en charge des personnes âgées dépendantes.

Antonin Amado  • 2 février 2022 abonné·es
Prise en charge du grand âge : Cinq ans de renoncements
Emmanuel Macron en visite dans un ehpad, le 6 mars 2020.
© Ludovic Marin / POOL / AFP

Affronter le mur démographique de la vieillesse. C’est ce à quoi notre pays doit se préparer pour les années à venir. Si l’espérance de vie actuelle se maintient, le nombre de personnes âgées dépendantes augmentera d’un tiers, passant de 800 000 aujourd’hui à 1,2 million d’ici à 2040, selon plusieurs projections concordantes (Insee, Ined). Alors même qu’une loi structurante n’était pas inscrite à son programme électoral, le chef de l’État s’était toutefois engagé, courant 2018, à la porter sur les fonts baptismaux. Emmanuel Macron estimant à juste titre qu’elle avait été trop de fois repoussée. S’il a tardé à mettre sur les rails son projet, il avait tout de même fini par nommer une ministre déléguée à l’Autonomie. Pour mener son action, celle-ci disposait d’un cap clair et de nombreux outils, en particulier de savants et documentés rapports, unanimement salués au moment de leur publication. Des travaux pointant tous les mêmes dérives structurelles, à savoir un manque de personnels et de moyens chroniques n’étant pas à la hauteur des besoins des personnes accompagnées et de leur famille.

Ces rapports, particulièrement ceux rédigés par Dominique Libault et l’ancienne ministre du travail Myriam El Khomri, appelaient à imaginer des financements nouveaux et pérennes, permettant en particulier le maintien à domicile des plus dépendants de nos aîné·es. C’est ainsi qu’en juillet 2020 Brigitte Bourguignon a rejoint le gouvernement de Jean Castex. Elle n’a qu’une mission : que soit adoptée d’ici la fin du quinquennat un texte cadre sur le sujet. Usant et abusant d’éléments de langage, la ministre déléguée entame alors un parcours erratique. La présentation d’un projet de loi est sans cesse repoussée. Son équipe, au sein de laquelle un important turn-over est constaté, avance alors de nombreuses raisons pour justifier son retard sur ce dossier, que souhaite pourtant voir aboutir des centaines de milliers de professionnels issus des milieux médicaux, sociaux et médico-sociaux. La pandémie de covid-19 sert d’abord de paravent. Avant qu’une surcharge du calendrier parlementaire ne vienne enterrer les velléités de Brigitte Bourguignon.

« La réalité de l’offre de soins continue d’être marquée par la prégnance de l’accueil en Ehpad. »

C’est finalement en septembre 2021 que l’abandon d’une loi grand âge et autonomie est définitivement acté. La ministre assure qu’il ne s’agit pas d’un renoncement, et affirme que la plupart des mesures devant figurer dans le texte seraient contenues dans le dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale de la législature. Une posture qui n’aura convaincu personne. Ni les syndicats représentatifs du secteur ni les fédérations d’employeurs. Certes, une 5e branche de la Sécurité sociale, dédiée à l’autonomie, a bien été créée fin 2020. Mais, sous-financée, elle reste à ce stade une coquille vide. Le principe de sa création a été posé avant même qu’une vision n’ait été définie et, a fortiori, partagée par toutes les parties prenantes. Résultat : elle a davantage servi à présenter une réponse à l’urgence posée par la pandémie qu’à traduire une vision de la société ou, du moins, de la protection sociale.

Sur cet enjeu de société, le plus grand échec du gouvernement aura résidé dans son incapacité à tracer une perspective. Le modèle de l’Ehpad, a fortiori après le scandale Orpea (lire par ailleurs), séduit de moins en moins. Mais les alternatives peinent à se dessiner. Vivre ses derniers instants chez soi est désormais présenté comme un unique horizon désirable. Mais qui reste à ce stade inatteignable, comme l’a cruellement souligné la Cour des comptes récemment. Dans un rapport publié le 24 janvier, elle affirme que la France n’a pas concrétisé le « virage domiciliaire annoncé ». Le ratio des soignants entre les soins infirmiers à domicile et ceux dispensés en structures est ainsi de 1 pour 4 en faveur des Ehpad.

Ce qui pousse les magistrats de la Cour à constater que « la réalité de l’offre de soins continue d’être marquée par la prégnance de l’accueil en établissement ». Et ce, en dépit « d’un discours volontariste ». Pour pallier ce manque, ils recommandent de faciliter les évolutions de carrière pour les aides-soignants. Mais aussi, et sans surprise, de renforcer les systèmes de financements des soins à domicile. Des solutions existent. Ne manque que la volonté politique.

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