Affaire McKinsey : un abandon de souveraineté

Les cabinets de consultants promeuvent des solutions technicistes et marchandes.

Hélène Tordjman  • 4 avril 2022
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Affaire McKinsey : un abandon de souveraineté
© Jean-Marc Barrere / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

À l’heure où des décisions stratégiques et cruciales doivent être prises concernant notre souveraineté alimentaire, énergétique et géopolitique, ainsi que notre engagement dans une véritable transition écologique, les choix publics sont de moins en moins démocratiques et souverains. L’« affaire McKinsey » le met crûment en lumière.

Comme le qualifie le rapport sénatorial n° 578, paru le 16 mars 2022, le rôle des cabinets de conseil dans la vie publique est devenu un « phénomène tentaculaire ». Présentes en renfort ponctuel depuis longtemps, ces firmes prennent aujourd’hui une place croissante dans la haute administration. Leur stratégie d’« infiltration » s’est articulée en deux temps (1). Suivant les principes du New Public Management, l’État doit être « modernisé » et « amaigri », devenir « agile et performant », digne d’une start-up nation. Ces firmes ont donc d’abord prôné la réduction du nombre de fonctionnaires, jugés archaïques et inefficaces. Il fallait gérer les services publics comme des entreprises privées. Le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux institué par la révision générale des politiques publiques (2007) a conduit à une perte de compétences et de savoir-faire dans la fonction publique. « Heureusement », lors du deuxième temps, les mêmes cabinets de conseil étaient là pour proposer leurs services. Ils ont donc conseillé : numérisation des services publics, tarification à l’acte et fermetures de lits à l’hôpital, e-santé et e-justice, école, police, prisons, etc. Même les secteurs les plus sensibles comme l’armée ou les services de renseignement sont désormais concernés. Le privé offre, il est vrai, certains avantages, comme de pouvoir gérer le travail des détenus dans les prisons ou d’« augmenter » les soldats grâce aux biotechnologies sans s’encombrer de considérations éthiques. Concernant les coûts en revanche, la logique est plus difficile à suivre : un consultant coûte quatre ou cinq fois plus cher qu’un fonctionnaire. Pourquoi dans ce cas faire appel au privé alors que l’administration française compte (pour l’instant encore) pléthore de corps d’inspection, et que l’on pourrait aussi puiser dans le vivier des chercheurs et universitaires ? Pourquoi avoir « externalisé » de grands pans de la politique de santé publique durant la crise du covid alors que de nombreux professionnels étaient à disposition ?

Quant aux enjeux écologiques, ils sont abordés de la même façon. Les cabinets de consultants promeuvent des solutions technicistes et marchandes – capture et stockage du carbone, voitures électriques, extension des marchés de gaz à effet de serre et de « services écosystémiques » : McKinsey, le Boston Consulting Group (BCG) et leurs collègues sont des croyants convaincus. Comme dans les autres secteurs déjà mentionnés, leur vision politique se diffuse ainsi jusqu’aux plus hauts sommets de l’État, aidée en cela par la généralisation (voulue elle aussi) des allers-retours entre public et privé, les fameuses portes-tambours. Résultat : des orientations majeures sont décidées ailleurs que dans la sphère politique. Pourquoi l’État choisit-il sciemment d’abandonner sa souveraineté ?

(1) Les Infiltrés, Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, Allary Éditions, 2022.

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