En Ukraine, le pacifisme impuissant

La résistance et le courage inouïs des Ukrainien·nes obligent les pays occidentaux à un profond examen de conscience.

Patrick Piro  • 27 avril 2022
Partager :
En Ukraine, le pacifisme impuissant
© JOHN MOORE / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP

Voilà deux mois que Vladimir Poutine a mis à exécution son projet d’écraser l’Ukraine. Depuis ce funeste 24 février, son « opération militaire spéciale » a déjà causé la mort de milliers de personnes, probablement plusieurs dizaines de milliers de civils. Et le déplacement de 13 millions de personnes, soit 30 % de la population du pays, dont plus de 5 millions ont fui à l’étranger. La moitié du territoire a été arrosée de mines et d’engins explosifs, dont l’élimination pourrait prendre un demi-siècle.

Une guerre éclair et la chute expresse de Kyiv, scénario un temps probable, auraient permis aux pays occidentaux de faire l’économie d’un profond examen de conscience de leur politique envers la Russie depuis l’annexion de la Crimée puis la prise d’une partie du Donbass par des milices pro-russes en 2014. La résistance et le courage inouïs des Ukrainien·nes les ont mis au pied du mur.

Les sanctions économiques et diplomatiques rapidement prises par l’UE et ses alliés sont certes sans commune mesure avec les ripostes indolores de 2014. Mais l’équilibre relatif et inattendu des forces militaires, sur le terrain, a mis à mal cette option tactique. Le levier lent de l’affaiblissement économique de la Russie ne contraint pas Poutine à négocier. Or son armée, qui patine, déploie une férocité décuplée alors que le maître du Kremlin entend désormais ramasser au plus vite le gain minimum du Donbass et du sud de l’Ukraine : bombardement d’habitations, couloirs humanitaires refusés, tortures, viols, possible déportation de personnes vers la Russie, exécution de civil·es, etc. La procureure générale de Kyiv a déjà lancé 7 000 enquêtes pour des exactions qualifiables, a minima, de crimes de guerre. Et voilà plus que jamais l’Europe confrontée au dilemme moral de l’impuissance de sa réponse pacifiste face à la terreur Poutine. Sera-t-il possible un jour de regarder dans les yeux les gens de Marioupol, de Boutcha, d’Irpin, de Kharkiv, d’Odessa bientôt ?

La semaine dernière, plusieurs pays, dont la France, ont finalement décidé de livraisons d’armes lourdes à l’Ukraine, qu’ils refusaient à Zelensky par crainte d’être considérés comme cobelligérants. Ce débat était bien jésuitique : Poutine décrète « agresseur » qui il veut, et quand il veut selon ses besoins. Une ligne rouge est donc franchie. Et l’engrenage de l’engagement militaire de l’Europe n’en est probablement pas à son terme, faute d’alternative après trois décennies passées à négliger la construction d’un nouveau cadre de sécurité « non-Otan » en Europe. L’Union européenne qui se tâte par ailleurs encore pour couper les importations d’hydrocarbures russes, gazières en particulier. Rien de tranquillisant, bien sûr. Mais une perspective probablement inéluctable désormais.

Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Les gauches, (toujours) condamnées à s’entendre
Parti pris 2 juillet 2025

Les gauches, (toujours) condamnées à s’entendre

Il y a aujourd’hui deux gauches qui cohabitent plus qu’elles ne se côtoient.La question n’est pas de les opposer à l’infini, mais de savoir comment elles peuvent faire front commun sans renier ce qui les distingue.
Par Pierre Jacquemain
Le bayrouisme est un lepénisme
François Bayrou 1 juillet 2025

Le bayrouisme est un lepénisme

Sous couvert de sagesse, François Bayrou orchestre une stratégie d’immobilisme utile – pour lui. En coulisses, un pacte tacite avec le Rassemblement national se dessine. Plus qu’un blocage politique : un système de survie mutuelle où chacun gagne du temps, sauf le pays.
Par Pierre Jacquemain
L’info publique, bientôt privée ?
Parti pris 30 juin 2025

L’info publique, bientôt privée ?

Avec la création d’une « holding » rassemblant les médias audiovisuels publics, avec à sa tête un « super patron », la réforme de Rachida Dati s’attaque à l’indépendance du service public de l’information et de la création, à l’heure d’une concentration accrue des médias, des ingérences étrangères et des fake news.
Par Pierre Jacquemain
Dialogue social piétiné, CFDT isolée, patronat triomphant
Parti pris 24 juin 2025

Dialogue social piétiné, CFDT isolée, patronat triomphant

La fumée noire s’est élevée lundi soir, concluant six mois de négociations sur les retraites par un échec retentissant. Un épilogue sans surprise tant les conditions du dialogue étaient faussées dès le départ. La faute à un patronat toujours plus radicalisé. Et à des syndicats incapables d’imposer un rapport de force.
Par Pierre Jequier-Zalc