Le Pen et l’international : Minage de l’UE et alliances d’extrême droite

Allemagne, UE, Russie, Otan. Au pouvoir, Marine Le Pen dynamiterait les positions françaises actuelles dans tout le champ des relations internationales. Au nom de l’intérêt supposé du pays.

Patrick Piro  • 20 avril 2022 abonné·es
Le Pen et l’international : Minage de l’UE et alliances d’extrême droite
En 2017, dans l’entre-deux-tours, Marine Le Pen s’était rendue au Kremlin pour obtenir un prêt de 9 millions d’euros.
© Mikhail KLIMENTYEV / SPUTNIK / AFP

L’un des enseignements majeurs tirés par Marine Le Pen de son débat calamiteux d’entre-deux-tours face à Emmanuel Macron, en 2017, c’est que la stature d’une femme d’État ne saurait se construire avec un programme de politique étrangère approximatif ou par trop dogmatique. Exit, donc, les projets de sortie de l’euro ou de l’espace Schengen de libre circulation des personnes, remisée la tentation du Frexit, dilution du thème obsessionnel de l’immigration. S’il en était besoin, l’invasion russe en Ukraine, avec son lot de bouleversements géopolitiques, aura achevé de la convaincre qu’il lui faudra tenir la route face au président sortant : la politique étrangère s’est invitée en place centrale dans la campagne pour l’Élysée.

Le 13 avril, la candidate a convoqué les journalistes pour une conférence de presse dédiée à la clarification de ses positions en matière de relations internationales. Si elle a appris à manier l’arrondi diplomatique dans sa manière de présenter les choses, c’est bien une mutation radicale de la politique étrangère de la France qu’elle mettrait en branle dès son arrivée au pouvoir.

Les trois présidents élus depuis 2007 ont réservé leur premier déplacement officiel à l’Allemagne, rituellement décrite comme le partenaire économique incontournable, avec lequel la France constitue le couple moteur de l’Union européenne. Il est raisonnable de douter que Le Pen prolonge la tradition. C’est une véritable déclaration de rupture qu’elle dessine. De l’amitié franco-allemande ne subsiste que l’acquis de la « réconciliation », une absence « d’hostilité à l’encontre de la nation allemande » et la relance de l’enseignement de l’allemand, propos qui semblent sortis tout droit d’un discours d’après-guerre.

Une diplomatie aux accents souverainistes, jusqu’à la tentation isolationniste.

Sur le fond, Le Pen affiche des « divergences irréconciliables » avec Berlin. Qu’il s’agisse de la politique migratoire (Merkel avait été vertement critiquée au moment d’accueillir les réfugiés fuyant le conflit syrien) ou énergétique – « Je ne laisserai pas l’Allemagne détruire notre industrie nucléaire » –, elle dénigre la relation franco-allemande comme une soumission aveugle de Paris à Berlin. Dans le domaine militaire, la rupture est radicale. Le Pen interrompra « l’ensemble des coopérations militaires » avec le grand voisin, décrit comme « un négatif absolu de l’identité stratégique française » en raison de la dépendance de l’Allemagne aux armements états-uniens, qui minerait « notre souveraineté technologique et notre intérêt industriel tant nous divergeons au niveau doctrinal et opérationnel ». Et pour faire bonne mesure, la candidate se refuse à appuyer la revendication allemande d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.

Europe des nations

Quant au moteur franco-allemand de l’Union européenne, c’est une « quasi-fiction », juge-t-elle. L’UE, deuxième chantier de destruction de la candidate. Il est soigné comme un coin majeur à enfoncer en vue de la rupture qu’elle promeut avec la politique de Macron. Sur le papier, Marine Le Pen ne brandit plus la perspective d’un Frexit, une sortie de la France de l’UE. Une posture en forme de ruse tactique. Car elle vise en réalité un démantèlement de la structure communautaire, dans le but de « sauver l’Europe ». Réformer l’UE de l’intérieur, non pas pour la rendre mieux-disante sur le plan social, l’écologie ou la démocratie. Mais pour la faire muter vers une « alliance européenne des nations ». Elle partage ce projet avec d’autres dirigeants d’extrême droite européens, dont Duda en Pologne ou Orban en Hongrie, son principal allié dans l’UE et dont elle est l’obligée – c’est une banque hongroise qui a été invitée à lui octroyer un prêt de 10,6 millions d’euros pour financer sa campagne, aucune place française n’ayant souhaité s’engager.

Au multilatéralisme d’un Macron, dont elle qualifie la posture de « bavarde » et de « mondialiste », elle oppose des coopérations bilatérales entre pays, méthode centrale d’une diplomatie aux accents souverainistes, jusqu’à la tentation isolationniste, qui rappellent ceux d’un Trump aux États-Unis. Une politique internationale des « mains libres », comme l’intitule le programme de la candidate. Elle justifierait par exemple une coopération militaire renforcée avec le Royaume-Uni, dont la sortie de l’UE a valeur d’exemple pour le Rassemblement national. Et Le Pen de préciser de manière sibylline, au détour d’un paragraphe : « Surtout, je souhaite que les nouveaux accords qui seront conclus portent sur trois enjeux stratégiques pour la France : la lutte contre le terrorisme islamique, la cybersécurité et l’espace. » On ne s’étonnera donc pas d’une absence totale de références ou de propositions sur la solidarité internationale, le partenariat avec l’Afrique, l’engagement dans la lutte climatique internationale, « qui ne constitue pas la priorité » de sa politique étrangère, etc. Ou encore de voir l’Algérie uniquement mentionnée pour signifier que les Algérien·nes vivant en France sans contrat de travail « devront partir ». Faute d’accord pour leur réadmission au pays, Le Pen bloquerait tout nouveau visa et toute autorisation de transfert de fonds au profit de ressortissant·es algérien·nes, ainsi que toute acquisition de propriété en France. Sans état d’âme : la France « n’est pas dépendante économiquement de l’Algérie, ni d’ailleurs du gaz algérien ».

Cette conception limitée à des transactions et guidée par l’intérêt national exclusif, la candidate ambitionne de l’étendre à toute la sphère des relations internationales, sans se départir d’une modération d’apparence, compatible avec une stature présidentiable. Ainsi le Rassemblement national ne prône-t-il pas une sortie de l’Otan, une position casse-cou vis-à-vis de l’électorat alors que la menace russe est durablement installée et que le fameux article 5 du traité de l’Alliance atlantique garantit une protection mutuelle entre ses trente pays membres. La candidate Le Pen engagerait en revanche le retrait de la France du commandement intégré de l’Otan pour se dégager « de tout suivisme des États-Unis »« comme de Gaulle en 1966 ». Certains observateurs demeurent sceptiques sur ce tour de passe-passe : ce retrait de la première puissance militaire d’Europe, même partiel, susciterait la défiance des autres pays de l’Otan envers la France, qui se trouverait affaiblie dans sa capacité de réaction en cas d’agression.

Complaisance poutinienne

C’est encore la quête d’une respectabilité internationale à peu de frais qui pousse la candidate à ambitionner de redonner à la France une place de « puissance de paix » en proposant d’augmenter le nombre des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, dont la composition est verrouillée depuis 1946 (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie). Élue, elle proposerait que l’Inde intègre ce club, avec un pays africain – le Sénégal a sa préférence –, et plus tard peut-être un pays d’Amérique du Sud.

Le Pen se dit favorable, « dès que la guerre sera achevée », à un « rapprochement stratégique » entre l’Otan et la Russie.

Ce « rééquilibrage des relations internationales » trouve une traduction bien plus conséquente dans le remaniement global des alliances internationales qu’elle envisage. Sans surprise, la France dirigée par Le Pen tisserait des liens stratégiques privilégiés avec la Hongrie et la Pologne. Le cas de la Russie est plus délicat. La candidate a su louvoyer à moindres dégâts électoraux autour de l’écueil de sa complaisance, voire son admiration, envers Poutine, avant le premier tour en tout cas. Peu de temps avant l’invasion de l’Ukraine, elle avait choisi d’illustrer sa respectabilité internationale en publiant, sur un tract de campagne, une photo datant de l’entre-deux-tours de 2017 où elle apparaît en compagnie du maître du Kremlin, qui avait alors contribué à ce qu’elle obtienne un prêt de 9 millions d’euros d’un organisme bancaire russe pour financer sa campagne électorale. Selon le quotidien Libération, la candidate a ordonné que le stock de tracts (1,2 million d’exemplaires) disparaisse de la circulation. Elle a rapidement condamné l’invasion de l’Ukraine, tout en justifiant ses critiques envers les sanctions économiques appliquées à la Russie au nom de leur impact sur le pouvoir d’achat des Français·es. Elle a appelé au maintien du dialogue avec le Kremlin, s’abritant opportunément, pour l’occasion, derrière la « similitude » de sa position avec celle de Macron.

Rhétorique incantatoire

À terme, Le Pen se dit favorable, « dès que la guerre russo-ukrainienne sera achevée et aura été réglée par un traité de paix », à un « rapprochement stratégique » entre l’Otan et la Russie. Dans une Otan et une Union européenne affaiblies par les ruptures occasionnées par l’occupante de l’Élysée : des observateurs font remarquer qu’il s’agit d’un alignement sur les intentions de Poutine. Le Pen présente les choses autrement : c’est dans l’intérêt de la France, de l’Europe, mais aussi des États-Unis, « qui n’ont aucun intérêt à voir émerger une étroite union sino-russe ».

Concernant la Chine, la rhétorique internationale de Le Pen démontre clairement son caractère incantatoire. « Nous contribuerons à faire respecter le droit international, le droit maritime, y compris par la Chine, dans les régions du globe où la puissance française est présente. » Bref, une France gendarme du monde, après avoir soigneusement raboté ses alliances européennes et occidentales.

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