« Morale » n’est pas un gros mot

Elle reste une boussole dans une époque où le confusionnisme s’insinue partout.

Sébastien Fontenelle  • 20 avril 2022
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« Morale » n’est pas un gros mot
© Stephane FERRER / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

À quelques jours du second tour de l’élection présidentielle qui l’opposera dimanche à une candidate d’extrême droite porteuse d’un projet raciste, Emmanuel Macron, chef de l’État français, vient de déclarer que « les leçons de morale, ça ne marche pas » contre Marine Le Pen (MLP).

Cela ne surprend qu’à moitié : il y a longtemps qu’on a compris que le personnage qui a donné le ministère de l’Intérieur à Géraldarmanin (1) n’était effectivement pas le meilleur ami de la morale.

Pour autant, cette considération n’est pas exactement nouvelle : ça fait vingt-cinq ans que de fins stratèges, de « gauche » comme de droite, psalmodient que rien ne serait plus vain que d’« opposer à Le Pen la vitupération morale (2) ». Résultat de cette habile tactique : dans ce même laps de temps, les scores électoraux des Pen au premier tour des élections présidentielles sont passés de 15 % pour le père en 1995 – ce qui était déjà énorme – à 23,1 % pour la fille le 10 avril dernier (3).

Et pourtant, ça continue : quiconque a essayé, dans le cours des derniers jours, de défendre l’idée qu’il était pour le moins fâcheux de ne pas appeler distinctement à voter contre MLP (4) le 24 avril a forcément essuyé, sur sa « gauche », une longue bordée d’insultes – en mode : « Ça suffit, maintenant, les leçons de morale. »

Sauf qu’en vrai, et en dépit de tout ce qui a ainsi été tenté depuis tant d’années pour nous convaincre du contraire, morale n’est toujours pas un gros mot. La morale nous aide, assez basiquement, à reconnaître et à trier ce qui est bien de ce qui est mal : n’en déplaise à ses hautains contempteurs, elle reste donc une boussole, dans une époque où le confusionnisme s’insinue partout.

Par exemple, quand une candidate prévoit, si elle est élue, d’inscrire dans la Constitution une « priorité nationale » fondée notamment sur des critères ethnoraciaux et l’interdiction du port de certains vêtements considérés comme « islamistes » dans l’espace public : c’est mal.

Et lorsqu’à « gauche » des gens, sachant cela, refusent d’appeler distinctement à voter dimanche contre la porteuse d’un tel programme – et donc pour son adversaire : c’est mal aussi.

Car quand vient le moment de choisir entre une extrémiste de droite qui annonce clairement son intention de se livrer – parmi cent autres atrocités – à des persécutions ethnoraciales ou religieuses et son adversaire qui, pour brutal et odieux qu’il soit, n’envisage rien d’aussi radicalement cruel, il n’y a aucune hésitation à avoir – sauf pour qui se désintéresserait a priori du sort des victimes de telles exactions.

(1) Rappelons ici que l’écriture contractive n’est pas exclusive de l’écriture inclusive.

(2) Jean Baudrillard, Libération, 7 mai 1997. Le philosophe ajoutait, bien sûr – car ces divagations-là vont souvent de pair : « C’est la faillite du social qui fait le succès du racial. »

(3) Auxquels il convient d’ajouter, pour faire bonne mesure, les 7,1 % d’Éric Zemmour.

(4) Et donc, bien sûr, pour Macron.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes
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