Bouderbala : À ce comte-là, on y va !

Le Comte de Bouderbala présente un nouveau spectacle dans son propre théâtre, l’ancien Caveau de la République, à Paris. Fringant et jubilatoire.

Jean-Claude Renard  • 11 mai 2022 abonné·es
Bouderbala : À ce comte-là, on y va !
© Renaud Corlouer

Le théâtre possède son histoire. Tandis qu’on promulgue la loi de 1901 sur les associations, se dresse le Caveau de la République. Un établissement bâti sur les fondations d’une ferme, la Vacherie, et sous la houlette de Charles Bouvet, ouvrant ses portes à la chanson satirique et à l’humour, deux genres qui accompagnent les lieux, estampillés d’emblée anars de gauche. Le public y retrouve des héritiers du Chat noir, cabaret montmartrois, trublions irrévérencieux. Se bousculent Vincent Hyspa, George Chepfer, Charles d’Avray et Esther Lekain, pamphlétaires, humoristes, chansonniers, poètes taquinant le couplet.

Après la Grande Guerre, le Caveau se veut une place -incontournable, terre de débusques aussi, tremplin et pépinière d’artistes. Berthe Sylva et son répertoire mélodramatique trempé de roses blanches, Raymond Souplex, Noël-Noël, caricaturiste au Canard enchaîné, René Dorin, porté par le sens de l’absurde. Pierre Dac y fait son entrée, avant Francis Blanche et Charles Aznavour. Après guerre se succèdent Robert Lamoureux, Pierre-Jean Vaillard et Maurice Biraud, au chemin sarcastique et désopilant. Passent encore, plus récemment, François Morel et Stéphane Guillon.

L’affiche est longue, et c’est chargé de cette histoire que le Comte de Bouderbala ouvre son nouveau spectacle. En tant que propriétaire des lieux. Rien que ça ! Il est chez lui. Rebaptisant l’espace Le République, tout simplement, « un garage avec des sièges rouges, deux mètres sur trois pour la scène, hauteur sous plafond 1 mètre 99. Ici, on est au théâtre de la misère, où l’on est rarement aussi près des lumières ».

Et d’enquiller un spectacle bien personnel. Puisant dans sa vie familiale la matière de son texte, mais aussi dans le fait divers et l’actualité, convoquant Xavier Dupont de Ligonès, Guy Georges, son rôle de frais papa. Choses vues, entendues. En extra large. La cruauté du show–business, les troubadours privés de scène pendant le confinement, jugés « non essentiels », les complotistes, le monde des influenceurs, les frasques sexuelles de Nicolas Hulot, les diatribes racistes d’Éric Zemmour, ou encore Emmanuel Macron, sans doute « réformé P3 pour soutien de famille ». Railleur, gouailleur, fils de Saint-Denis, « raconteur de conneries » assumé, cinglant, amuseur amusé et désabusé.

Encore faut-il savoir faire du drôle avec du lourd. Le Comte sait. Avec un public qu’il interpelle de-ci de-là, étiré de 11 à 70 ans, convié à prendre le show comme un jubilé. Avec un sens de l’histoire sur le stand-up. Soi-disant américain. « Or les États-Unis ont cinq cents ans d’existence. Le stand-up est français, il vient de la comédie romantique, et les Grecs avant, les griots et les conteurs africains, les trouvères et les troubadours du Moyen Âge, le vaudeville de Molière et les salles dont Victor Hugo est issu. »

L’achat de ce théâtre, c’est un rêve de gosse. « Pour faire la programmation que j’aime. En ayant grandi à Saint-Denis, confie-t-il, à côté du théâtre Gérard-Philipe, je me posais la question : pourquoi n’y a-t-il pas de one-man-shows ? Au théâtre, on m’a répondu, en me regardant comme un extraterrestre, que c’est une scène nationale et qu’on ne mange pas de ce pain-là. C’est là que j’ai découvert les clivages. Celui pour les théâtreux et celui qui pouvait éventuellement intéresser une population locale. Il y avait d’un côté une bourgeoisie qui en profitait, et de l’autre un truc inaccessible. C’est comme ça que je me suis dit : quand j’serai grand, j’aurai un théâtre ! »

Le Comte de Bouderbala a été basketteur. Haut niveau. Aux États-Unis, puis sélectionné dans l’équipe nationale algérienne. En meneur, malgré son petit mètre soixante-quinze. D’un genre l’autre, les passerelles ne pourraient pas manquer. « Diriger un théâtre, ce n’est pas seulement un panier marqué, mais une belle passe, une belle défense. Ça reste collectif, une métaphore de la société, avec ses individualités. Un spectacle, c’est chaque soir un partenaire et un adversaire. Il faut faire en sorte que le match soit gagné, conquérir son public ».

Le Comte de Bouderbala 3, les vendredis et samedis. Théâtre Le République, 23, place de la République, Paris.

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