89 députés d’extrême droite entrent à l’Assemblée nationale et tout est calme…

L’universitaire Maryse Souchard interpelle ardemment tous ceux qui banalisent cet événement, à commencer par Emmanuel Macron et ses partisans.

Maryse Souchard  • 24 juin 2022
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89 députés d’extrême droite entrent à l’Assemblée nationale et tout est calme…
© Photo : Marine Le Pen reçue à l'Élysée par Emmanuel Macron (Ludovic MARIN / POOL / AFP)

Pas un spécialiste de l’extrême droite en vue, pas de manifestations, pas d’appels à l’action, pas de… Rien. Silence, circulez, il n’y a rien à voir, rien à faire. Les députés du Rassemblement national, entend-on, sont des députés comme les autres, élus par des électeurs comme les autres.

Maryse Souchard est maîtresse de conférences en communication en retraite de l’université de Nantes-IUT de La Roche-sur-Yon.
Comme les autres ? Le premier député auquel ils s’en prennent est Rachel Keke, noire elle est, n’est-elle pas ? Leur grande satisfaction : avoir enfin les moyens de lutter contre « l’ensauvagement » de la France. Leur grand projet : la fin des droits des immigrés qui reçoivent « plus d’argent que les Français pure souche », la fin de l’immigration « massive ». Leurs grands outils : la sécurité, la police, les contrôles, le droit du sang contre celui du sol. Il paraîtrait même, à en écouter certains, que le président Macron soit sous « le contrôle du CRIF », le Conseil représentatif des institutions juives de France. Comme les autres ? « Je suis très Bleu Blanc Rouge », disait récemment l’un d’entre eux. Traduire : « Je suis très Français, plus Français que certains qui ne devraient pas l’être. » Comme les autres ? « Le contrôle au faciès n’existe pas, c’est un mensonge », déclarait un autre durant la soirée électorale sur France 2. Comme les autres, vraiment ?

On ne s’indigne plus, ce n’est plus acceptable de s’indigner, il faut « respecter » les avis de chacun même quand ils sont en pleine contradiction avec nos lois, avec notre Constitution, avec la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. On ne doit plus dire aux électeurs d’extrême droite qu’ils sont racistes même quand leurs déclarations publiques ne laissent aucun doute. D’ailleurs, ces électeurs ne savent peut-être même plus que le racisme est un délit parce que plus personne ne s’y oppose. Il ne s’agit que de l’extrême droite face à l’extrême gauche et à l’extrême centre, banale l’extrême droite. Et puis tout le monde s’en fout du racisme. Tout le monde rigole quand les fêtes locales deviennent des « Fêtes du Cochon », comme ça il n’y a ni Arabe, ni musulman, ni juif, juste « entre nous ». Et puis quoi, « ce n’est pas interdit »… Alors, comme les autres ?

Du coup, comme on ne parle plus de ce qui fâche, on peut aisément renvoyer dos-à-dos les oppositions, extrême droite contre extrême gauche, n’est-ce pas Monsieur Véran. Et tous vous autres ? Staline contre Hitler ? Et « la guillotine fiscale » de Monsieur Attal est une menace plus grave que le racisme, à l’en croire.

Non mais, vous êtes sérieux ??? Vous pensez vraiment ce que vous dites ? L’extrême droite est une opposition comme les autres ? Et la Nupes est d’extrême gauche ?

Mais à quoi jouez-vous ? Jusqu’où voulez-vous voir dériver notre avenir ? Pensez-vous pouvoir manipuler les Français encore longtemps ? Mesurez-vous les conséquences de vos manipulations ?

Camarade Président, tu disais nous être « redevable »…

Il vous était plus facile de gagner l’élection présidentielle contre l’extrême droite que contre n’importe quel autre candidat. Alors, vous l’avez laissée tranquille pendant cinq ans pour être bien certain de la retrouver au deuxième tour de l’élection présidentielle. Et une fois élu, « on » apprend que l’on a soutenu un programme. Mais vous vous moquez de qui ? Cette élection-mascarade donnerait une légitimité à qui ? À l’extrême droite, justement ! Contents vous êtes ? Et vous vous préparez à gouverner avec « toutes » les oppositions ? Il n’y a donc plus aucun tabou ? Aucun interdit ? Plus de digues, que des ligues ?

Non, camarade Président, nous n’avons pas soutenu clairement ton projet le 26 avril. Nous, les électeurs qui ne voulions pas de l’extrême droite au pouvoir, avons voté pour lui faire barrage. Pas pour toi, que non ! Tu disais nous en être « redevable », le 26 avril. Aujourd’hui, tu as oublié, tout oublié. Tu cherches des alliances et certains de tes ministres ouvrent toutes les portes, y compris celles de l’extrême droite, en vue de ces alliances. Mais tu n’es pas le seul responsable. Le sont aussi tous ceux qui, au deuxième tour des élections législatives, ont préféré l’abstention ou le vote RN contre la Nupes ou contre tes candidats, au risque de faire élire des députés d’extrême droite en nombre. En grand nombre. Nous sommes désormais l’un des pays d’Europe qui a le plus d’élus d’extrême droite… Et tu penses, camarade Président, que c’est anodin, anecdotique, dérisoire, insignifiant, négligeable, accessoire ?

À t’écouter le 22 juin, camarade Président, il ne s’est rien passé ce terrible dimanche 19 juin 2022 qui mérite qu’on s’y attarde. Bon, tu n’as pas la majorité à l’Assemblée Nationale mais tu vas travailler pour l’avenir du pays (je résume) ! On croit rêver ! Il y a 89 députés d’extrême droite à l’Assemblée nationale qui ont le racisme au principe de leur doctrine et tu n’en dis pas un mot, pas un seul mot, pas même une allusion. Peu importe le reste de leur programme, le racisme à lui seul les exclut de toute légitimité. Il fallait le dire, camarade Président. Au moins le dire une fois.

Depuis 2002, chaque élection est pire que la précédente, dans la place accordée à l’extrême droite. Jusqu’à la prochaine de dans cinq ans. Et nous n’aurons plus que nos yeux pour pleurer. Parce qu’il est déjà très tard. Trop tard.

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Tribunes

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