Défaite ou victorieuse, la gauche émerge

Première force d’opposition à l’Assemblée nationale, la Nupes a mené bataille dans 390 circonscriptions au second tour des législatives. Portrait d’un scrutin à travers cinq circonscriptions symboliques.

Pauline Gensel  • 21 juin 2022 abonné·es
Défaite ou victorieuse, la gauche émerge
© Laurence Kourcia / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Ce sera 142 sièges et l’assurance de constituer la principale force d’opposition face à la coalition présidentielle. Alors non, Jean-Luc Mélenchon ne sera pas Premier ministre. Mais la Nupes a réussi à tirer son épingle du jeu et le pari d’une union s’est révélé payant, avec une Assemblée nationale qui compte aujourd’hui 155 élus de gauche, contre 77 en 2017. Une percée électorale qui cache des dynamiques diverses, des symboles multiples.

Symbole d’une nouvelle génération, inquiète pour son avenir et pour la planète dans laquelle elle devra vivre. À l’image de Salomé Robin qui, à 19 ans, affrontait Olivier Véran dans la 1re circonscription de l’Isère. Dans un territoire où le président de la République avait remporté près de 80 % des voix au second tour de la dernière élection présidentielle. L’étudiante en sciences sociales était parvenue à talonner de moins de quatre points le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, candidat à sa réélection.

Même perdantes, de jeunes figures de la Nupes auront su se faire entendre.

« Doit-on continuer notre petite vie à étudier tranquillement, alors que les rapports du Giec nous donnent trois ans pour agir ? » questionnait la candidate lors de son premier discours électoral, le 13 mai. Celle qui se réclame de la « génération Greta Thunberg » tablait sur un électorat jeune, assenant vouloir mettre fin à la précarité étudiante et amorcer une bifurcation écologique immédiate. Une stratégie qui ne manquait pas de logique, 30 % des 18-34 ans ayant voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle. Mais qui demeurait périlleuse, alors que 70 % des électeurs de moins de 35 ans avaient boudé les urnes au premier tour des législatives, selon un sondage Ipsos-Sopra Steria. L’élan espéré chez les jeunes ne s’est pas concrétisé : Salomé Robin des bois a obtenu 42,3 % des suffrages dimanche 19 mai. D’autres jeunes figures de la Nupes se sont inclinées face à des poids lourds de la Macronie : Reda Belkadi dans le Loir-et-Cher face à Marc Fesneau, Leslie Mortreux face à Gérald Darmanin dans le Nord, Noé Gauchard face à Élisabeth Borne dans le Calvados. Mais elles auront su se faire entendre et porter les revendications de l’union de la gauche jusqu’au second tour.

Voix des quartiers

Résultat positif cette fois pour la Nupes face à Ensemble ! : dans la 14e circonscription du Rhône, Idir Boumertit est élu avec 56,69 % des voix face à Yves Blein, ancien député socialiste qui avait remporté la circonscription en 2017 sous la bannière LREM, alors que la gauche divisée n’était pas parvenue à accéder au second tour. Le candidat Nupes remporte ainsi une circonscription qui avait alimenté les conversations en début de campagne : Taha Bouhafs, initialement investi par La France insoumise, avait dû renoncer à la suite d’un signalement reçu par la cellule de suivi contre les violences sexistes et sexuelles de LFI. Idir Boumertit, adjoint au maire de Vénissieux depuis 2014 et membre depuis 2008 du Parti de gauche intégré à LFI, avait alors été désigné pour mener la bataille des législatives. Et tandis que Michèle Picard (PCF), maire de Vénissieux, prévoyait de présenter une candidature dissidente face à Taha Bouhafs, elle s’est retirée au profit de son adjoint, pour permettre à la gauche de « battre la droite et l’extrême droite ». Mettant à profit sa connaissance du terrain, Idir Boumertit a su faire résonner les problématiques locales avec les revendications de la Nupes, défaisant un député accusé de harcèlement sexuel qui espérait briguer un troisième mandat.

La présence de la Nupes au second tour dans des circonscriptions difficiles rend compte d’un vent nouveau.

Autre figure implantée dans les quartiers populaires à se présenter pour la première fois aux législatives : Leila Ivorra, candidate Nupes de 26 ans qualifiée après le premier tour dans la 1re circonscription du Val-d’Oise. Issue d’une famille précaire et actuellement au RSA, elle aussi a fait valoir ses connaissances des problématiques locales, listant aux habitants les projets lancés dans sa circonscription auxquels elle s’oppose : la construction d’une maison d’arrêt de 750 places sur le site d’un centre de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) à Bernes-sur-Oise, annoncé en 2021 par Jean Castex ; la fusion de l’hôpital de Beaumont-sur-Oise, premier employeur de la ville, avec celui de Pontoise. Bien qu’elle soit originaire de L’Isle-Adam, dans la deuxième circonscription, Leila Ivorra militait dans la première depuis ses 16 ans, quand elle s’était engagée dans le Front de gauche, ancêtre de LFI. Elle avait été au cœur d’une polémique en 2018 lors de l’évacuation de l’université de Tolbiac, occupée contre la mise en place de Parcoursup. Elle affirmait avoir vu un étudiant au sol et des flaques de sang, avant de reconnaître avoir menti après la publication d’une enquête de Libération qui contredisait ses dires. Un scandale que ses détracteurs n’ont pas manqué de rappeler dès l’annonce de sa candidature dans le Val-d’Oise, mais qui ne lui a pas tellement porté préjudice, l’Adamoise remportant 28,20 % des suffrages au premier tour. Mais contrairement à la femme de chambre Rachel Keke, élue députée dans la 7e circonscription du Val-de-Marne, Leila Ivorra n’entrera pas à l’Assemblée nationale : elle s’est inclinée face à Émilie Chandler (Ensemble !) dimanche 19 juin, avec un score de 47,47 %.

Conquête des terres de droite

La coalition présidentielle n’était pas le seul adversaire qu’affrontait la Nupes lors de ces législatives : l’union de la gauche devait aussi batailler avec le Rassemblement national (RN) qui, au final, a réalisé une percée fulgurante, obtenant 89 sièges à l’Assemblée nationale contre 8 en 2017. Dans les 63 circonscriptions où la Nupes et le RN s’affrontaient au second tour, nombreux sont les candidats de l’union de la gauche à s’être inclinés face au parti d’extrême droite. Jean-Marc Tellier, dans la 3e circonscription du Pas-de-Calais, s’en est quant à lui sorti victorieux. Mais il s’en est fallu de peu : seules 71 voix l’ont séparé de Bruno Clavet, candidat RN. Le maire PCF d’Avion depuis 2009 a su faire valoir son ancrage local, brandissant ses combats menés avec d’autres maires du secteur, comme l’arrêté interdisant les coupures de gaz et d’électricité dans les communes du territoire. Alors que quatre électeurs sur dix étaient allés voter au premier tour (36,9 % de participation), il a fait de l’abstention son principal cheval de bataille pour éviter la déroute de 2017 : dans ce territoire traditionnellement acquis à la gauche, c’était un candidat FN de 71 ans, José Évrard, jadis élu du PCF, qui l’avait emporté, la gauche divisée échouant à se qualifier pour le second tour. Et à l’élection présidentielle, Marine Le Pen était arrivée en tête dans la plupart des communes de la circonscription. Le défi était donc de taille.

La coalition de gauche a mené bataille jusqu’en terre de droite, dans des bastions qui semblaient inaccessibles. Dans la 1re circonscription de l’Yonne, l’écologiste Florence Loury avait créé la surprise en se qualifiant pour le second tour avec 24,25 % des voix, devant le candidat du RN Daniel Grenon (23,92 %). Laissant sur le carreau le député sortant Guillaume Larrivé (LR) et son challenger Victor Albrecht (Ensemble !), tous deux favoris. La Nupes était ainsi parvenue à se hisser au second tour dans une circonscription acquise à la droite depuis 1968 – exception faite de deux mandats du Mouvement des réformateurs (MDR). Une fois n’est pas coutume, le front républicain s’était mis en ordre de marche autour de la candidate EELV : la sénatrice Dominique Vérien (UDI), le président du conseil départemental, Patrick Gendraud (LR), et le candidat déchu de la majorité Victor Albrecht avaient appelé à voter pour elle. « Pour une fois, les élus de la droite, vous allez voter pour la gauche, comme nous l’avons fait face à l’extrême droite », s’exclamait Jean Massé, le maire de Saints-en-Puisaye, lors du meeting de Florence Loury dans l’entre-deux-tours.

Mais le front républicain s’est révélé insuffisant : la professeure d’EPS ne l’a pas emporté, seulement distancée de 729 voix par Daniel Grenon (51,10 %). Dans les bastions de la droite, difficile de sortir vainqueur du sprint final face au RN.

Si certains territoires demeurent difficiles d’accès pour la Nupes (lire la série « Gauche, nouvelle campagne » dans nos précédentes éditions), sa présence dans de nombreuses circonscriptions au second tour rend compte d’un vent nouveau. Les enjeux insufflés par la gauche résonnent aujourd’hui dans une partie de l’électorat : reste aux 155 élus portant ses couleurs à les traduire et à les défendre à l’Assemblée nationale.

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