Législatives : une grosse claque pour Macron

La faible majorité relative des macroniens, pris en ciseaux entre un groupe conséquent de la Nupes et des députés RN plus nombreux que prévu, ouvre une crise institutionnelle.

Michel Soudais  • 20 juin 2022
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Législatives : une grosse claque pour Macron

Emmanuel Macron perd ses pleins pouvoirs. Le Président s’imaginait retrouver dans l’Assemblée nationale de son second quinquennat une majorité absolue pour mener à bien toutes les politiques qu’il n’avait fait qu’éluder dans la campagne présidentielle et qu’il avait tues lors de celle des législatives. Raté !

Dans un scrutin marqué une fois de plus par une abstention préoccupante (53,77 %) et un fort contingent de bulletins blancs et nuls (7,64 % des votants), les électeurs ont clairement sanctionné le président réélu et son camp, infligeant à la macronie une claque inédite. La coalition de ses « candidats officiels », constituée par Renaissance (ex-La République en marche), le Mouvement démocrate (MoDem) et Horizons, ne compte que 246 députés, loin des 289 requis pour avoir la majorité au palais Bourbon.

Jamais depuis l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier parlementaire qui place les élections législatives après la présidentielle, un président nouvellement élu (ou réélu) n’avait échoué à obtenir le soutien d’une majorité de députés. En 2002, la réélection de Jacques Chirac avait été suivie de l’élection de 398 députés de son camp. En 2007, Nicolas Sarkozy pouvait compter sur une majorité de 345 députés. François Hollande, en 2012, sur 331 députés. Et en 2017, Emmanuel Macron pouvait revendiquer une majorité parlementaire de 361 députés (314 LREM et 47 MoDem), auxquels pouvaient se rallier 35 députés « constructifs ».

Trois ministres battues devront quitter le gouvernement :

  • Amélie de Montchalin, ministre de Transition écologique et de la Cohésion des territoires, avait été l’une des artisanes des réformes fiscales décriées de 2017 (suppression de l’ISF, instauration de la flat tax…)

  • Brigitte Bourguignon, ministre de la Santé et de la Prévention

  • Justine Bénin, secrétaire d’État à la mer

Plusieurs figures symboliques de la Macronie sont également battues, après Jean-Michel Blanquer ou Emmanuel Wargon la semaine dernière, et manqueront au chef de l’État :

  • Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale sortante

  • Christophe Castaner, président du groupe des députés LREM

  • Patrick Mignola, président du groupe des députés MoDem

  • Pierre-Yves Bournazel, proche d’Édouard Philippe ; il était pressenti pour présider le groupe Horizons

  • Laurent Saint-Martin, rapporteur général du budget

  • Florian Bachelier, influent questeur de l’Assemblée nationale.

  • Roxana Maracineanu, ancienne ministre des Sports

  • Élisabeth Moreno, ex- ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes, à la Diversité et à l’Égalité des chances

  • Jean-Baptiste Moreau, porte-parole de LREM

On pourrait également ajouter à cette liste non exhaustive Jean-Christophe Lagarde. Le président de l’UDI, à la tête d’un groupe de 19 députés, a appuyé nombre de réformes dans le quinquennat précédent. Battu dans la 5e circonscription de Seine-Saint-Denis par l’insoumise Raquel Garrido, son parti ne compte que trois élus dans la nouvelle Assemblée.

Une Assemblée ingouvernable

À l’issue du scrutin des 12 et 19 juin, aucun groupe n’atteint toutefois la majorité absolue.

La Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) obtient 142 sièges, moins que le nombre de députés escomptés par cette alliance de gauche coalisant La France insoumise, Europe Écologie-Les Verts, le Parti socialiste, Génération.s, Génération écologie et le Parti communiste. Mais la gauche, toutes tendances confondues, n’était représentée que par une soixantaine de députés dans l’Assemblée sortante.

L’élection de 89 députés du Rassemblement national constitue la plus grosse surprise de ce scrutin. D’autant que le parti de Marine Le Pen n’était en position de se maintenir que dans 208 circonscriptions (110 en 2017, 61 en 2012). Auparavant, cette qualification ne lui permettait de transformer l’essai que dans moins de 10 % des circonscriptions. La diabolisation outrancière de la Nupes par la Macronie et ses relais médiatiques, ainsi que l’absence de consigne de vote claire des candidats macroniens battus au premier tour dans les duels Nupes-RN ont permis au parti d’extrême droite de retrouver un groupe à l’Assemblée, ce qui ne s’était pas vu depuis la législature 1986-1988 (le Front national de Jean-Marie Le Pen avait alors fait élire 35 députés dans un scrutin à la proportionnelle).

Le groupe RN pourrait même être plus important en nombre que La France insoumise, les quatre principaux partis membres de la Nupes ayant prévu de constituer chacun leur groupe.

Les Républicains et l’UDI, dernier groupe d’importance, ne comptent que 64 élus contre une bonne centaine en 2017.

Cette majorité introuvable traduit une crise de régime jusqu’ici sous-jacente. La Ve république était conçue pour assurer une majorité à l’exécutif ; elle lui fait défaut. Elle devait aussi organiser une bipolarisation qui a cédé la place à une quadripartition qui rend l’Assemblée difficilement gouvernable.

Quelle assise pour le gouvernement ?

S’assurer d’une majorité dans une telle configuration ressemble à une mission impossible.

Mal élue dans la 6e circonscription du Calvados, où elle faisait son baptême du feu électoral, Élisabeth Borne (52,46 % contre 68,34 % obtenus en 2017 par Alain Tourret, le député sortant) pourrait rapidement en faire les frais. La Première ministre présentera ce lundi, comme il est d’usage au lendemain d’une élection législative, la démission de son gouvernement au président de la République.

Sera-t-elle reconduite ? Sans doute. À charge alors pour le gouvernement de rechercher sur chaque texte une majorité. Sans exclusive à droite. Sur les plateaux de télévision, dimanche soir, Olivia Grégoire, porte-parole du gouvernement, et Éric Dupont-Moretti ont proposé au RN, sans trop de détours, de voter au cas par cas avec le gouvernement.

Mais Emmanuel Macron pourrait aussi bien être tenté de remplacer Élisabeth Borne par un ou une Premier·ère ministre plus compatible avec la droite. Histoire de s’assurer un contingent de soutiens supplémentaires pour atteindre la fameuse et impérieuse majorité dans l’hémicycle. Une perspective peu réaliste au regard des candidats élus dimanche : les députés LR qui subsistent ont fait campagne sur leur opposition à Emmanuel Macron et sont peu tentés de rejoindre un président contraint par la Constitution à effectuer son ultime mandat.

Si bien qu’un blocage institutionnel apparaît plus crédible. Hélas pour Macron, une dissolution de l’Assemblée nationale n’est pas envisageable avant un an (voir l’article 12 de la Constitution). Ce qui nous ouvre une période d’incertitude inédite.

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