Vieux pots, sale soupe

La rhétorique justifiant les compromissions les plus indignes reste inchangée depuis 1940.

Sébastien Fontenelle  • 27 juin 2022
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Vieux pots, sale soupe
© Ludovic MARIN / AFP

En octobre 1940, le maréchal Pétain, à qui l’Assemblée nationale a donné, trois mois plus tôt, les pleins pouvoirs, déclare : « C’est dans l’honneur et pour maintenir l’unité française (1) que j’entre aujourd’hui dans la voie de la collaboration » avec l’Allemagne nazie. Quatre-vingt-deux ans plus tard, dans les premières semaines du second mandat présidentiel d’Emmanuel Macron (qui vient alors d’être réélu, exactement comme il avait été une première fois élu cinq ans plus tôt, par des gens qui ont voté pour lui pour faire barrage à l’extrême droite, et pour cette seule et unique raison), quatre-vingt-neuf élu·es d’un parti nationaliste cofondé (notamment) par un ex-Waffen SS et un ancien milicien (2) entrent au mois de juin 2022 dans l’Assemblée nationale – où le parti présidentiel ne dispose plus de la majorité absolue et va donc devoir composer avec des parlementaires venu·es d’ailleurs.

Aussitôt, une députée macroniste, exprimant ce qui semble être l’inclination majoritaire au sein des droites dites républicaines, promet : « Quand on a besoin d’avoir une majorité et si c’est bon pour les Français (3), on va aller chercher les voix du Rassemblement national. » Et quelques heures plus tard Emmanuel Macron lui-même tweete : «Pour agir dans votre intérêt et dans celui de la Nation (4), nous devons collectivement apprendre à gouverner et légiférer différemment. Bâtir avec les formations politiques constituant la nouvelle Assemblée des compromis nouveaux dans le dialogue, l’écoute, le respect. »

Bien évidemment – mais cela va sans doute beaucoup mieux en le disant : tout ne se vaut pas. Bien évidemment : nous ne sommes pas en 1940. Bien évidemment : le Rassemblement national n’est pas le Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP), et M. Macron n’est pas M. Pétain (5).

Mais, toutes choses égales par ailleurs, il est patent que la rhétorique justifiant les compromissions les plus indignes reste inchangée, puisqu’en 2022 c’est encore et toujours au nom de l’« intérêt » du pays que des alliances avec des gens qui ont pour programme de le fracturer sont présentées comme souhaitables et comme bénéfiques « pour les Français ».

D’où cette question pour M. Macron et pour son empressée députée : qui sont au juste ces Français·es dont vous prétendez vouloir le bien lorsque vous envisagez de collaborer avec un parti dont le nouveau président juge par exemple que la fantasmagorie complotiste du « grand remplacement » (de la population européenne par des populations immigrées) « pointe une réalité qui est juste » ?


(1) C’est moi qui souligne.

(2) Deux personnages qui se sont donc eux aussi engagés, corps et âme, dans la collaboration avec les nazis.

(3) C’est encore moi qui souligne.

(4) C’est toujours moi qui souligne.

(5) Qu’il tient cependant pour un « grand soldat », comme il l’a distinctement énoncé lorsqu’il a voulu honorer sa mémoire en 2018, un an après avoir donc été élu pour faire barrage à l’extrême droite.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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