La PMA « pour toutes », vraiment ?

Un an après le vote de la loi, de nombreuses difficultés apparaissent : manque de personnel, temps d’attente exagérés, discrimination de certaines femmes…

Daphné Deschamps  • 24 août 2022 abonné·es
La PMA « pour toutes », vraiment ?
Conservation de dons de sperme et d’embryons au Cecos de Bordeaux.
© Photo : Burger/Phanie/AFP.

Ce fut le résultat de deux ans de débats parlementaires, mais surtout d’années de militantisme. La procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes a été adoptée par l’Assemblée nationale et promulguée au journal officiel il y a un an, le 2 août 2021. Point clé de la loi de bioéthique, cette extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules était très attendue. Or, un an après, les difficultés se multiplient, tant dans la réalité de cette ouverture que dans sa pratique.

En termes chiffrés, l’Agence de la biomédecine a publié, le 23 mai dernier, les résultats de son troisième comité de suivi de la mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation (AMP), l’autre nom de la PMA. Rien qu’au premier trimestre 2022, 5 126 demandes de première consultation ont été effectuées, dont 47 % par des couples de femmes et 53 % par des femmes seules. Mais seulement 2 562 consultations ont pu avoir lieu. L’agence note une hausse des prises en charge, avec une moyenne de 854 premiers rendez-vous par mois, contre 653 au trimestre précédent. Mais la réalité est très disparate : elle est essentiellement constatée dans les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains (Cécos), dans 31 unités médicales liées à des CHU et réparties sur tout le territoire français. Et si certains affichent des délais d’attente qui pourraient paraître longs, d’autres dépassent le raisonnable.

Anaïs et sa compagne se sont lancées dans une procédure de PMA dès qu’elles ont été certaines que la loi de bioéthique allait être votée, en juin 2021. Bretonnes, elles contactent le Cécos de Rennes, demandant à être placées sur liste d’attente pour être reçues dès la promulgation du texte. Elles peinent pourtant à obtenir une date de rendez-vous : « J’ai attendu tout le mois d’août, puis une bonne partie de septembre, sans nouvelles sauf quand j’appelais, déplore Anaïs. Au début de l’automne, j’étais en congé, alors j’ai décidé de prendre les choses en main et j’ai été très insistante. On a fini par avoir un rendez-vous pour fin mai. » Un délai de presque un an pour une simple visite de présentation. Pourtant Anaïs relativise : « Finalement, on n’est pas si mal loties par rapport aux Lyonnaises. »

Trop longs délais

Le Cécos de Lyon, en effet, est celui où les délais sont les plus extrêmes : en mars dernier, les rendez-vous étaient donnés pour… décembre 2023. Une PMA prend entre douze et dix-huit mois après la première entrevue dans un centre spécialisé. Les femmes qui se décident aujourd’hui à se lancer dans un parcours maternel peuvent espérer accoucher dans quatre ans. En comparaison, dans les pays européens où les couples lesbiens se rendaient avant la promulgation de la loi de bioéthique, comme l’Espagne, la Belgique ou l’Allemagne, les premiers essais d’insémination se font en général dans les deux mois suivant les premiers rendez-vous.

Comment expliquer ces délais ? Évidemment, l’ouverture de la PMA à un nouveau public entraîne une hausse des demandes, mais pas forcément des dons. On pourrait donc penser que c’est un manque de gamètes disponibles qui crée une telle attente. Ce n’est pourtant pas le cas. L’année 2021 marque même un record, avec 600 donneurs de spermatozoïdes, selon un rapport de l’Agence de la biomédecine. En comparaison, le nombre le plus élevé enregistré jusque-là datait de 2017, avec 404 donneurs. Et du côté des dons d’ovocytes, même constat : 2021 est une année record, avec environ 900 donneuses, contre un record précédent à 836 en 2019. Les organisations pointent plutôt le manque de prévision des pouvoirs publics et les faibles moyens accordés au dispositif. « On nous a dit clairement que c’était un manque de personnel plus que de donneurs », explique Anaïs.

« Le nombre de demandes a été sous-estimé dans les études préliminaires. »

Même son de cloche du côté des Cécos : « Le nombre de demandes a été sous-estimé dans les études préliminaires, explique Catherine Metzler-Guillemain, cheffe du service de biologie de la reproduction-Cécos à Marseille et présidente de la Fédération française des Cécos. Les indicateurs utilisés étaient indirects, c’étaient ceux du nombre de Françaises qui s’adressaient à l’étranger pour leurs parcours de PMASauf que se rendre à l’étranger n’était pas accessible à tout le monde, pour des raisons logistiques ou financières. La proximité et la prise en charge par la Sécurité sociale ont été des facteurs décisifs pour beaucoup de femmes. »

Les Cécos sont de toutes petites structures. Conséquences ? Le rapport trimestriel de l’Agence de la biomédecine pointait déjà, le 24 février, le manque de personnel, avançant qu’une partie des recrutements « attendus » ont eu lieu en 2021, mais qu’« il reste des besoins à pourvoir ». De nouveaux budgets ont été débloqués au printemps « pour ­permettre aux établissements de santé de continuer à répondre aux besoins des centres pour les parcours engagés en 2022, notamment en ressources humaines ». Mais cette prise en charge arrive trop tard pour ­beaucoup. Le couple derrière le compte Twitter @_Tes_Meres, des militantes pro-PMA pour toutes de longue date et déjà mères de deux enfants nés en Espagne, pensait pouvoir effectuer son troisième parcours de PMA en France. En raison de l’attente, elles l’écrivent sur Twitter : « On retournera en Espagne. »

Face à l’urgence, qui peut être biologique pour certaines, aucune réelle solution n’est proposée. Éloïse vient d’avoir 40 ans. Les chances de succès d’une grossesse par PMA faiblissent avec le temps. Elle doit pourtant attendre un an pour un premier rendez-vous, alors qu’ailleurs en Europe elle serait prise en charge en quelques semaines seulement.

L’obligation d’appariement

Un autre sujet est pointé par certains collectifs comme source d’allongement du temps d’attente, mais aussi de discriminations potentielles. C’est la notion d’appariement, qui consiste à attribuer au couple receveur les gamètes d’un donneur plutôt que d’un autre, ­notamment pour des critères de ressemblance physique (couleur des yeux, des cheveux, de la peau). Lors de la promulgation du texte, il a été rendu obligatoire, comme il l’était pour les couples hétérosexuels jusqu’alors. Or, s’il n’y a pas de pénurie générale de gamètes, il avait été relevé par des députés comme Coralie Dubost (LREM), lors des débats autour de la loi de bioéthique à l’Assemblée en 2020, que l’appariement « pénalise les couples receveurs dont l’origine ethnique est telle que les donneurs font défaut et qui font face à des délais bien plus longs que les autres couples avant de pouvoir accéder à la PMA avec don de gamètes ».

Catherine Metzler-Guillemain préfère parler d’harmonisation. Pour elle, il est « difficile d’utiliser des mots absolus sur l’harmonisation ». Et s’il y avait des raisons pour que cette harmonisation soit recommandée à la majorité des couples, il reste une différence entre les profils. « La majorité des donneurs sont caucasiens, alors que les receveuses sont beaucoup plus représentatives de la population générale et de sa diversité, explique-t-elle. Il y a des patientes de certaines origines pour lesquelles on a des régions en tension pour les dons de sperme, mais la tension est encore plus forte pour les dons d’ovocytes. »

Si les Cécos se défendent de toute discrimination, force est de constater que certains couples ont vu leurs procédures rallongées en raison de cette obligation d’appariement. Celui-ci n’est plus obligatoire depuis un arrêté publié le 14 avril 2022 : il est toujours possible, mais sur demande des futurs parents, en tenant compte des caractéristiques physiques des deux parents indistinctement, ou de la mère dans le cas d’une procédure pour une femme seule.

« L’appariement est un choix qui peut questionner, car il s’agit d’un enjeu important. C’est un problème politique qui aurait mérité d’être inscrit dans la loi. »

Pour Laurence Brunet, juriste, spécialiste en droit de la famille et de bioéthique, et chercheuse à Paris-I Panthéon-­Sorbonne, il s’agit d’une avancée logique, mais très encadrée : « Le texte précise bien que le médecin doit informer que l’appariement ne garantit pas la ressemblance exacte avec les parents et que les délais d’attente vont augmenter. Et, surtout, il faut que ce soit une demande expresse du couple. » Pour elle, l’appariement pouvait constituer « un véritable obstacle à l’accès à la PMA ». Pour autant, la non-réglementation de cette question dans la loi de bioéthique ne l’a pas surprise : « L’appariement a toujours été géré par arrêtés et par décrets, en deçà de la loi, depuis les premières lois en 1994, avance-t-elle. C’est un choix qui peut questionner, car il s’agit d’un enjeu important. C’est un problème politique qui aurait mérité d’être inscrit dans la loi. »

Le don dirigé

Reste la question du « métissage imposé », qui se trouvait au cœur des revendications des collectifs militants lesbiens avant le vote de la loi de bio­éthique. Le 1er avril 2021, le collectif Collages lesbiens dénonçait dans un communiqué « un racisme médical qui ne dit pas son nom ». En effet, la suppression de l’obligation d’appariement sans campagne de recrutement de donneurs, notamment sur les ethnies qui sont moins représentées, réduit les possibilités de ressemblance entre parents et enfants, car les femmes qui font une demande de PMA se voient répondre que, pour aller plus vite, elles doivent renoncer à l’appariement, et donc à une famille qui leur ressemble, car, en France, le « don dirigé » n’est toujours pas une possibilité pour les couples effectuant une PMA.

L’appariement tel qu’il est pratiqué aujourd’hui en France laisse le choix des donneurs aux médecins. Or, ce que réclament les militantes, c’est l’ouverture d’un don dirigé, qui leur permettrait de se présenter directement dans les Cécos avec un donneur de leur entourage, ou anonyme via des associations communautaires, qui renoncerait immédiatement à tout droit de filiation sur le futur enfant. Une revendication qui a été jusqu’à ce jour ignorée, ou décrite comme une forme de « marchandisation du vivant » – ce que contestent les collectifs, pour qui il s’agit de solidarité.

(Photo : Arnaud Le Vu/Hans Lucas/AFP.)

Nombreuses ont aussi été les militantes à réclamer des campagnes de recrutement de donneurs, de la part des Cécos, qui prendraient en compte l’origine des donneurs en fonction des demandes locales, pour combler les manques et éviter l’établissement d’un « marché ». « Quand un centre a la chance d’avoir un profil de donneur “rare”, on en profite, tente de contrebalancer Catherine Metzler-Guillemain. On peut s’arranger au mieux, faire circuler les couples ou les gamètes sur le territoire, selon les besoins. Mais, évidemment, cela rajoute de la logistique. »

Un autre point très critiqué de la loi française est l’interdiction de la réception des ovocytes de la partenaire (Ropa), méthode de PMA qui partage la conception du bébé entre les deux compagnes. Il s’agit d’une double maternité, nécessitant le don d’ovocytes de l’une et l’utilisation de l’utérus de l’autre. Lors des débats autour de la loi de bioéthique, la Ropa avait été qualifiée par la droite de « GPA déguisée ». Une absurdité pour Laurence Brunet : « La Ropa n’a rien à voir avec la gestation pour autrui, puisqu’il ne s’agit pas de faire appel à une personne extérieure au couple, mais de partager la grossesse. » Selon elle, il s’agissait pour la majorité d’apaiser la droite et de faciliter le passage de la loi. Mais, pour les couples lesbiens, c’est une raison de plus de ne pas effectuer leur parcours de PMA en France : la Ropa est autorisée dans d’autres pays européens comme l’Espagne et peut être pour certaines un facteur décisif.

Difficultés administratives

Les délais ne sont pas les seuls problèmes auxquels les couples lesbiens doivent faire face lorsqu’ils s’engagent dans une PMA. Celle-ci est coûteuse et les démarches administratives sont nombreuses. Reconnaissance conjointe anticipée (RCA) ou a posteriori (RCP), passages devant le notaire, formulaires d’état civil différenciés. Si la loi de bioéthique garantit un accès à la PMA sans discrimination liée à l’orientation sexuelle, en pratique, les couples lesbiens font face à des difficultés que les couples hétérosexuels n’ont pas à affronter.

Lorsque l’enfant vient au monde, par exemple, les agents d’état civil en mairie ne savent pas forcément comment déclarer les naissances, et ce malgré des circulaires claires. Céline Cester, présidente de l’association Les Enfants d’arc-en-ciel, qui accompagne les couples homosexuels dans leurs parcours de parentalité, alertait déjà sur des problèmes liés aux RCA dans les colonnes de Politis en juin 2022. Elle dénonçait un suivi de la loi de bioéthique « dysfonctionnel » et un manque de formation « qui discrimine de fait les couples lesbiens ». Et concernant la RCP, la situation n’est pas aisée non plus.

« Aujourd’hui, je n’ai aucun droit sur mon fils, alors que la loi de bioéthique était censée me le garantir. »

Si, en théorie, les démarches sont simplifiées pour les couples mariés, la réalité semble tout autre : « La loi de bioéthique devait nous permettre de faire reconnaître complètement notre enfant né d’une PMA en Allemagne », raconte Mona, dont le fils a 2 ans. Elle a été partie prenante de toute la grossesse de sa compagne, est présente sur l’acte de naissance allemand de l’enfant, et l’a adopté aux yeux de la loi allemande. Et pourtant, impossible d’effectuer une reconnaissance a posteriori : « Le procureur de Nantes a refusé notre demande, malgré les documents qu’on lui a fournis et qui détaillent toute notre vie de famille, déplore-t-elle. Aujourd’hui, je n’ai aucun droit sur mon fils, alors que la loi de bioéthique était censée me le garantir. »

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Pour Laurence Brunet, l’une des causes de ces difficultés administratives réside dans le fait que l’ouverture de la PMA a entraîné la création d’un droit différencié, qui se niche dans les détails : les couples lesbiens ne remplissent pas les mêmes formulaires que les couples hétérosexuels, les déclarations d’état civil étant genrées. Et les formations pour faire fonctionner ce droit différent ne sont pas effectuées.

Un an après la loi de bioéthique, les femmes seules et les couples lesbiens continuent donc à envisager des PMA à l’étranger, malgré le coût de la délocalisation de la procédure, pour fuir les délais, mais aussi pour accéder à des méthodes de PMA qu’elles préfèrent et qui ne sont pas toujours disponibles en France.

Mona et sa femme envisagent ainsi de retourner en Allemagne pour leur deuxième enfant, simplement pour pouvoir concevoir leur seconde grossesse avec le même donneur que pour leur fils et construire une famille comme elles le souhaitent, sans attendre des années. Et face aux délais et au manque de préparation des Cécos à la vague de demandes, certaines femmes risquent de renoncer à leurs projets familiaux.