Une histoire de censure qui a sa part de tragique

En dépubliant une tribune d’un chercheur sur les propos tenus par Emmanuel Macron en Algérie et en présentant ses excuses, Le Monde envoie un signal inquiétant.

Christophe Kantcheff  • 5 septembre 2022
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Une histoire de censure qui a sa part de tragique
© Le président français en visite au cimetière Saint-Eugène d'Alger, le 26 août. (Photo : LUDOVIC MARIN / AFP.)

Le Monde aime à se présenter comme « le quotidien de référence ». Ainsi, tout organe de presse pourra désormais se prévaloir du précédent accompli par le journal du soir quand il s’excusera auprès du chef de l’État pour un article qui aura déplu à celui-ci.

En effet, après avoir « dépublié » (ou, en l’occurrence, « censuré », selon le dictionnaire des synonymes) sur son site, le 1er septembre, la tribune du chercheur en sciences politiques Paul Max Morin portant sur les propos tenus le 26 août par Emmanuel Macron lors de son voyage en Algérie, Le Monde s’est expliqué dans un premier et bref texte s’achevant en ces termes : « Le Monde présente ses excuses à ses lectrices et lecteurs, ainsi qu’au président de la République. » On peut être à la fois poli et donner un signal inquiétant en faveur du recul de la liberté de la presse en France.

Intitulée « Réduire la colonisation en Algérie à une “histoire d’amour” parachève la droitisation de Macron sur la question mémorielle », cette tribune a pourtant été commandée, puis réceptionnée, lue, validée par la rédaction et publiée dans l’édition papier (datée du 2 septembre), mais tout cela… « trop rapidement » (sic), comme l’a affirmé le quotidien dans un second texte d’explication. Dans cette autojustification sinueuse, on peut aussi relever ceci : « Les pages Débats du Monde ont vocation à accueillir des analyses et des points de vue, y compris très polémiques. Nous ne pouvons nous permettre d’y accueillir des textes comportant des erreurs factuelles. »

Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron développe une curieuse et dangereuse conception de son rapport à la presse.

Écrivant dans sa tribune : « En cinq ans, la colonisation sera passée dans le verbe présidentiel d’un “crime contre l’humanité” (2017) à “une histoire d’amour qui a sa part de tragique” », Paul Max Morin aurait été fort mal-comprenant. La parole présidentielle, en réponse à un journaliste, avait été celle-ci : « Non mais, vous savez, c’est une histoire d’amour qui a sa part de tragique. Il faut pouvoir se fâcher pour se réconcilier. J’essaie, depuis que je suis président de la République et même avant, de regarder notre passé en face, je le fais sans complaisance. » « Regarder notre passé en face… » : le chef de l’État ne faisait en effet aucunement allusion aux 130 années de colonisation que la France a imposées au peuple algérien…

Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron développe une curieuse et dangereuse conception de son rapport à la presse, confondant aisément journalisme et communication. Raison de plus pour ne pas céder un pouce de son indépendance quand on se prétend « le quotidien de référence ».

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