« Mon pays imaginaire » de Patricio Guzmán : l’insurrection qu’on n’avait pas vu venir

Un long métrage qui raconte la révolte chilienne de 2019, et l’évolution des jeunes vis-à-vis de la politique

Christophe Kantcheff  • 25 octobre 2022 abonné·es
« Mon pays imaginaire » de Patricio Guzmán : l’insurrection qu’on n’avait pas vu venir
© Photo : Pyramide Films.

Comment naît une révolte populaire ? Cette interrogation s’impose à Patricio Guzmán face au soulèvement qu’a connu son pays, le Chili, en 2019, et qu’il filme dans Mon pays imaginaire. Au vrai, cette révolte-là, il ne l’a pas vu venir.

Mon pays imaginaire, Patricio Guzmán, 1 h 27.

Il avait pourtant l’œil expert. Cinquante ans plus tôt, il avait assisté avec sa caméra à l’arrivée au pouvoir de Salvador Allende, puis à sa chute. Il en avait tiré La Bataille du Chili (1975), une trilogie de cinq heures, son œuvre fondatrice.

Que s’est-il passé depuis l’instauration de la démocratie, en 1990 ? Trente années de capitalisme exacerbé, durant lesquelles la société a semblé s’engluer, avec son lot toujours grandissant d’injustices sociales et de misère. Mais, secrètement, de nouvelles générations ont pris conscience du rôle qu’elles pouvaient jouer dans la rupture avec cet état des choses.

Ce qui a mis le feu aux poudres : la hausse du prix du ticket de métro. Un fait relativement mineur, mais c’est la goutte de trop. Les jeunes sautent par-dessus les portiques, s’en prennent aux rames, investissent la rue. Le soulèvement populaire qui s’engage va prendre une ampleur considérable. Aux avant-postes : des femmes, en particulier. Qui ont du courage.

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Aux avant-postes du soulèvement populaire : des femmes. (Photo : Pyramide Films.)

Patricio Guzmán alterne images des manifestations et entretiens, avec des interlocutrices uniquement. La première est une jeune femme qu’il filme dissimulée sous son attirail de protection : cagoule, lunettes anti-gaz, quelques fleurs décoratives aussi. Elle sait qu’elle peut être tuée. Elle a un petit garçon. Elle espère, si cela lui arrive, qu’il sera pris en charge par un proche, un ami.

Gouvernement « en guerre »

La répression est en effet sauvage. Le gouvernement, qui s’est déclaré « en guerre », envoie les militaires « au front ». Le bilan des morts et des blessés est lourd. Le cinéaste recueille le témoignage d’une « street medic ». Ses collègues sont atteints par des balles en faisant rempart pour que les soins puissent être apportés aux blessés. « Cela renforce notre cohésion », assure-t-elle. Malgré le danger, des marées humaines envahissent les rues de Santiago.

L’un des points forts du film est de montrer l’évolution des manifestants vis-à-vis de la politique. Au départ, ils rejettent le personnel politique et toute idéologie. Néanmoins, le féminisme, revendiqué comme un des traits essentiels de leur mouvement, attaque directement l’État.

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Ce qui a mis le feu aux poudres : la hausse du prix du ticket de métro. (Photo : Pyramide Films.)

« L’État oppresseur est le macho violeur », dit un texte de contestation que les femmes ont popularisé. Ce faisant, les manifestants innovant par ailleurs dans les pratiques démocratiques, la nécessité d’une nouvelle Constitution devient centrale, celle qui est alors en vigueur datant de Pinochet.

Mon pays imaginaire s’achève sur les travaux d’une convention constituante et l’arrivée au pouvoir de Gabriel Boric. La révolte populaire a trouvé un débouché politique. Dans le générique de fin, Guzmán reprend des images d’Allende qu’il met en écho avec celle du président actuel. Mauvais présage involontaire ? Le mois dernier, le nouveau texte constitutionnel, soumis aux électeurs, a été rejeté.

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Cinéma
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