« Monde »-ci, « Monde »-là

Dans le portrait qu’il consacre à Sandrine Rousseau dans son supplément hebdomadaire, le vénérable quotidien s’interroge sur la sincérité des larmes de la députée. Il est beaucoup moins regardant sur ce qui touche au président de la République.

Sébastien Fontenelle  • 11 octobre 2022
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« Monde »-ci, « Monde »-là
© Sandrine Rousseau, le 7 octobre 2022, lors des journées parlementaires d'EELV à Strasbourg. (Photo : PATRICK HERTZOG / AFP.)

Le Monde vient de publier, dans son supplément hebdomadaire (1), un long portrait de la députée Europe Écologie-Les Verts (EELV) Sandrine Rousseau. Il commence par ces mots : « Sandrine Rousseau pleure. Ce n’est pas grand-chose, juste une larme qui coule le long de sa joue. »

Quelques lignes plus loin, l’auteur de ce papier revient après un détour sur cette larme qui, au tout début de son article, n’était donc « pas grand-chose », mais qui, dans l’intervalle, a pris assez d’importance pour qu’il écrive : « Que faire de ces pleurs ? Il est rare qu’un responsable politique laisse libre cours à un tel transport devant un journaliste. Cherche-t-elle à attendrir son interlocuteur, ou bien se montre-t-elle sincèrement épuisée des polémiques qu’elle engendre ? »

Ce rigoureux professionnel se demande donc si l’élue qui pleure devant lui est sincèrement éprouvée, ou si des fois elle ne se forcerait pas un peu à faire couler une goutte le long de sa joue pour l’embobiner, lui qui incarne pourtant le quatrième pouvoir.

Le Monde semble bien décidé à nous signifier, par ce scrupuleux questionnement, qu’il ne lésine pas sur le sérieux de ses vérifications : attends, tu es bien gentille, mais ce n’est certainement pas parce que tu verses une larme qu’on va automatiquement croire que tu es triste, ou fatiguée, ou tout ça à la fois, Sandrine Rousseau.

Quand un proche de M. Macron chante pour Le Monde les louanges de M. Macron, il n’est jamais question de suggérer distinctement que sa parole serait sujette à caution.

Problème : ce vénérable quotidien se montre parfois moins regardant. Par exemple, tous les jours ou presque, il publie (3) des articles consacrés au président de la République française et à son exercice du pouvoir, qui sont à peu près tous nourris de citations recueillies auprès de personnages considérés comme fiables et présentables, du style : « un conseiller de l’Élysée », ou « un membre du gouvernement », ou un « proche de M. Macron ».

Mais jamais au grand jamais les auteurs et autrices de ces papiers ne questionnent la sincérité de ces sources anonymes : jamais au grand jamais ces journalistes ne se demandent si Emmanuel Macron est réellement aussi formidable que le disent ces informateurs, ou si ces derniers ne seraient pas en train d’essayer d’embobiner la presse de référence.

En somme, quand Sandrine Rousseau pleure, il est tout à fait possible qu’elle cherche surtout à « attendrir son interlocuteur », journaliste au Monde – et cela mérite d’être écrit et publié noir sur blanc. Mais quand un proche de M. Macron chante pour Le Monde les louanges de M. Macron, il n’est jamais question de suggérer distinctement que sa parole serait sujette à caution. Et ça doit vouloir dire quelque chose – mais quoi ?


(1) Et non loin d’une page consacrée à la mode masculine présentant, « à l’approche de l’hiver », quatre pulls pour homme en cachemire dont les prix, étagés de 238 à 790 euros (soit 1,3 RSA), disent assez nettement à qui s’adresse ce magazine – et plus encore à qui, décidément, il ne s’adresse pas.

(2) Entre deux éditos narrant que la réforme des retraites qu’ourdit le chef de l’État est (comme toutes celles qui l’ont précédée) « nécessaire » (mais qu’il faut bien sûr discuter de la manière de la mener à son terme).

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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