À Calvignac, chasse, mort et intimidations

Deux ans après le décès de Morgan Keane, 25 ans, tué un jour de chasse dans cette commune du Lot, le tireur et le président de battue comparaissent devant le tribunal de Cahors. Et le village se déchire.

Emma Conquet  • 16 novembre 2022 abonné·es
À Calvignac, chasse, mort et intimidations
© Un ami de Morgan Keane brandit son portrait lors d’une marche blanche à Cajarc, le 4 décembre 2021. (Photo : Valentine CHAPUIS / AFP.)

Dans le recoin d’un bois du Lot, près de la départementale D19, se détachent deux silhouettes. Leurs chasubles orange fluo jurent avec les feuilles de chêne qui tapissent le sol en ce dimanche d’automne. « Et de trois ! » dénombre Fabien, 28 ans, venu chasser le sanglier accompagné de Julien, 13 ans.

Des randonneurs passent. Talkie-walkie à la main et carabine en bandoulière, l’homme se veut rassurant : « Ici, on suit le protocole à la lettre, l’accident n’aurait jamais dû arriver. » Il fait référence au drame qui a bousculé les environs, un jour de chasse à Calvignac.

Le 2 décembre 2020, dans le hameau de La Garrigue, alors qu’il coupe du bois devant chez lui, Morgan Keane a été tué par un chasseur. Il avait 25 ans. Le tireur ainsi que le président de battue devaient comparaître devant le tribunal correctionnel de Cahors, ce jeudi 17 novembre, pour « homicide involontaire ».

Dans cette bourgade de 200 âmes, perchée au cœur du parc naturel régional des Causses du Quercy, cette tragédie est un choc immense. Tout le monde connaissait ce jeune homme orphelin qui vivait isolé avec son frère cadet, Rowan, au creux de la vallée du Lot. « Ses copains le surnommaient Blanche-Neige, car il y a toujours plein d’oiseaux et d’animaux dans son jardin », confie avec tristesse Mila Sanchez, une amie d’enfance de Morgan.

Deux ans ont coulé dans les méandres de la rivière, mais les dissensions perdurent. « Ce n’est pas la fête ici, souffle Mila. Il n’y a aucune remise en question de la part des chasseurs, aucune volonté réelle d’apaisement. » Quelques jours après la mort de son ami, elle relève déjà des propos cyniques dans la bouche de certains villageois : « Il vaut mieux être à la place de Morgan qu’à celle du tireur, qui risque d’aller en prison », ou encore « Il aurait pu mourir en traversant la route ».

Un ami de Morgan Keane brandit son portrait lors d’une marche blanche à Cajarc, le 4 décembre 2021. (Photo : Valentine CHAPUIS / AFP.)

Pour cette femme de 27 ans, qui connaissait « Moggi » depuis la maternelle, ce drame ne doit rien au hasard. Elle et trois autres proches de la victime ont créé le collectif Un jour un chasseur, pour ouvrir le débat et briser le tabou des accidents liés à ce loisir. Leur page sur Instagram cumule à ce jour plus de 40 000 abonnés.

Intimidations et barbelé

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Société Police / Justice
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