Réinsertion : la bonne volonté ne suffit pas

Géraldine Blin dirige l’association Agir pour la réinsertion sociale. Elle raconte dans Politis sa vision de la valeur travail au prisme de son engagement pour l’insertion.

Géraldine Blin  • 30 novembre 2022
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Réinsertion : la bonne volonté ne suffit pas
Manifestation à Paris contre la vie chère, en octobre 2022.
© Guillaume Deleurence

À intervalles réguliers, la « valeur travail » revient dans le débat public. Les politiques la présentent comme l’horizon vers lequel il faut tendre, comme la meilleure protection contre la pauvreté. Toutes les politiques sociales, aujourd’hui, cherchent à favoriser la reprise d’activité, quelle qu’elle soit. Emmanuel Macron a même annoncé au cours de sa campagne de 2022 son souhait de conditionner l’allocation du RSA à une contrepartie de quinze à vingt heures de travail hebdomadaire. Comme si, finalement, il était facile de redonner de l’activité à ceux qui en sont privés, comme s’il suffisait de vouloir pour pouvoir, de « traverser la rue ».

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De nombreuses entreprises se plaignent de ne pas arriver à recruter. Des centaines de milliers de postes sont non pourvus, alors que le taux de chômage atteint 7,5 % et que 1,88 million de ménages sont allocataires du RSA. Légitimement, la société se questionne : certaines personnes renoncent-elles à travailler au profit de minima sociaux ? Les entreprises se sont-elles adaptées en proposant des conditions de travail attractives ? Le service public de l’emploi est-il en mesure de mettre en relation ceux qui cherchent un job et les entreprises qui recrutent ?

Directrice de l’association Agir pour la réinsertion sociale, dont l’activité se situe dans un bassin d’emploi en tension, le Val-d’Oise, je suis avec mes équipes aux premières loges pour observer de près tous ces sujets. Nous accompagnons environ 350 bénéficiaires du RSA sur mandat du conseil départemental, et nous portons deux chantiers d’insertion qui emploient 27 demandeurs d’emploi avec peu de qualification et des parcours de vie non linéaires.

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Nos salariés sont pour certains sans domicile fixe, sortants de prison ou primo-arrivants. Ils ont parfois des troubles psychiques ou des addictions. Rien qui, fondamentalement, les empêche de travailler. Mais des trous dans le CV, une absence de qualification et/ou d’expérience, une mauvaise maîtrise de la langue, un manque de réseau et de soutien familial peuvent les désavantager… Pourtant, quand on s’attelle à leur donner un coup de pouce en leur redonnant confiance, les résultats sont très positifs : nous avons chaque mois des sorties en CDI, en CDD long ou en formation qualifiante.

Personne ne revendique l’oisiveté et ne se satisfait de son sort en touchant 598 euros par mois.

Quant aux bénéficiaires du RSA, peu souhaitent rester dans cette situation. Personne ne revendique l’oisiveté et ne se satisfait de son sort en touchant 598 euros par mois. Avec les minima sociaux, ils survivent plus qu’ils ne vivent. Ils sont à la merci du moindre événement qui vient perturber l’existant : la machine à laver qui lâche, les charges d’énergie qui augmentent…

Il est naïf de penser qu’il suffirait aux allocataires de faire preuve de « bonne volonté » pour retrouver un travail. Il faut parfois imaginer des détours assez longs afin de mieux armer les personnes pour reconstituer leurs forces, afin d’agir ensemble et de leur redonner les rênes de leur vie.

Actionner plusieurs leviers

Il faut souvent actionner plusieurs leviers pour que les situations évoluent. Aider quelqu’un à sortir de l’isolement social, se doter d’un réseau, retrouver un logement ou s’inscrire dans un parcours de soins est un acte collectif car, pour cela, il ne suffit pas que la personne veuille, il faut que son environnement le permette.

Tout le travail réside là : agir sur le contexte pour que les ressources des personnes ne se heurtent pas à des murs. Si l’accompagnement n’est pas ouvert et attentif, au-delà de la visée emploi, il ne marche pas. Si l’on ne considère pas la personne que l’on accompagne comme un partenaire et comme le seul expert de sa situation, ça ne marche pas. La posture du travailleur social est essentielle : une position basse, altruiste, réaliste.

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Et il faudra aussi admettre l’idée, dans l’opinion publique, que certaines personnes – une minuscule frange des bénéficiaires du RSA – cumulent trop de problèmes intrinsèques et extrinsèques pour trouver un travail, même en chantier d’insertion. Et que la société tout entière leur doit cette solidarité et cette entraide, pour qu’elles ne sombrent pas plus profondément dans la misère, au nom de la cohésion sociale et de la fraternité.  

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Publié dans
Carte blanche

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Temps de lecture : 4 minutes
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